Vaccins. Réponse à ceux qui refusent de servir de cobayes. Débat.

À en juger par l’abondant courrier des lecteurs et par les réactions que nous avons reçus, l’intervention du professeur Pietro De Marco (photo, avec ses œuvres d’art exposées) sur Settimo Cielo le 9 août dernier a véritablement fait mouche :

> Apocalyptiques et libertaires. Les velléités de rébellion suicidaire des cathos antivax

À proprement parler, la critique de De Marco ne touche pas seulement les catholiques, surtout issus des milieux traditionnalistes, qui se rebellent contre les règles en matière de vaccination qui ont été adoptées dans le monde entier. Certains penseurs laïcs et progressistes de premier plan, tels que les philosophes réputés Massimo Cacciari et Giorgio Agamben en Italie soutiennent des contestations analogues.

À tous, De Marco leur reproche l’erreur grave de revendiquer la liberté de quelque imposition que ce soit, sans comprendre qu’ainsi, on se remet corps et âme à « un sympathique dictateur libertaire » qui « concède, et légitime même, toutes les libertés privées » et ce faisant, c’est non seulement la conception chrétienne de la politique et de l’État mais en définitive celle de l’homme lui-même qui part en fumée.

Une voix au-dessus de tout soupçon est venue reconnaître la solidité de l’analyste de De Marco, celle d’Andrea Grillo, professeur de théologie à l’Athénée pontifical Saint-Anselme de Rome, qui a souvent débattu avec De Marco en adoptant des positions progressistes.

« Contrairement à De Marco – conclut Grillo dans son commentaire – je ne suis nullement convaincu que le tournant libéral soit une catastrophe. Mais il me semble qu’il a effectué l’analyse des dynamiques en jeu dans les polémiques actuelles de main de maître et avec une détermination qui force le respect. Pour cela, je le remercie en me réjouissant pour son courage : chanter hors du chœur n’est jamais chose aisée ».

Cependant, d’autres s’opposent à De Marco en adoptant une position médiane, ni favorable ni hostile au vaccin, mais en faveur d’une totale liberté de choix et donc également du refus de se faire vacciner, en tenant compte en toute conscience des potentiels effets indésirables du vaccin.

C’est le cas du P. Mauro Gagliardi, 46 ans, théologien de premier plan et auteur, entre autres, d’un épais traité de dogmatique catholique, « La Verità è sintetica », édité chez Cantagalli et présenté en décembre 2017 avec force louanges au Vatican par le cardinal Gerhard L. Müller, le préfet sortant de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Voici ci-dessous la lettre dans laquelle Gagliardi argumente sa position, avec la réplique de De Marco.

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La lettre de Mauro Gagliardi

Cher M. Magister,

J’ai lu avec attention la contribution de Pietro De Marco, qui nous a habitués à des réflexions de grande qualité, comme l’est – surtout par ses références savantes – également son récent article concernant les antivax. N’étant pas compétent en la matière, je n’entrerai pas dans le débat sociologique ou politique et, de plus, vu le climat dogmatique qui s’est désormais créé, je déclare d’emblée ne pas être antivax. Je pense toutefois que polariser le débat entre provax et antivax, entre illuminés et rétrogrades, entre « nomiques » – du grec « nomos », loi – et « anomiques », est réducteur. Il me semble qu’il existe au minimum une troisième option, celle du vaccin libre, de ce qu’on appelle le freevax.

Le freevax n’est pas forcément un catholique traditionnaliste obtus, ni un libertaire qui rejette le principe d’autorité. Il pourrait être un catholique sérieux, ou même simplement une personne sérieuse, qui sait qu’il a une conscience et qui sait qu’il doit la former et l’utiliser. S’il est croyant, il sait que Dieu parle également et principalement dans la conscience correctement formée et pas seulement à travers les autorités civiles et religieuses légitimes. Avec John Henry Newman, il sait qu’il faut certes trinquer au pape mais en premier à la conscience et ensuite au pape. Il a lu au numéro 1778 du Catéchisme cette définition de Newman lui-même : « La conscience est le premier de tous les vicaires du Christ ».

Dans le cas qui nous occupe, il convient – comme toujours – de tempérer les décisions de l’autorité avec celles de la conscience correctement formée. Mon insistance sur le fait que la conscience doit être formée élimine à la racine l’idée que ceux qui ne souhaitent pas être vaccinés soient automatiquement des libertaires ou des anomiques. En effet, la conscience formée est la faculté de poser un jugement pratique non pas sur base de son propre arbitre mais bien sur celle de la norme objective appliquée aux circonstances.

Concernant les vaccins, la première chose à dire c’est qu’il ne s’agit pas seulement de vaccins au sens classique du terme, mais bien de thérapies géniques. La seconde c’est que, selon ce qu’on nous dit, ils fonctionnent à court terme, au sens où ils aident à garder les services de soins intensifs vides dans les hôpitaux, même s’ils n’empêchent pas la contamination des personnes vaccinées. Le troisième aspect est que personne ne sait quels effets ces médicaments produiront à moyen et long terme. On espère qu’il n’y aura aucun effet indésirable, mais le fait est que personne ne le sait, ni les sociétés pharmaceutiques qui les produisent, ni les gouvernements qui, à tout le moins dans certains cas, les imposent. Il n’y a jamais eu de communication claire à ce sujet. L’un des virologues omniprésents à la télévision a déclaré que le gouvernement italien aurait dû être plus honnête en déclarant qu’une expérimentation à grande échelle était en cours. Ceux qui cherchent à former leur propre conscience en vue d’une décision aussi importante ne peuvent ignorer ces aspects. Cependant, je ne dis pas que ceux qui ont choisi de se faire injecter le traitement anti-covid auraient mal fait. Ce que je dis, c’est que si quelqu’un y réfléchit encore, ou bien qu’il a décidé de ne pas recevoir ce traitement, il n’est pas juste de lui coller l’étiquette d’imbécile ou de révolutionnaire pour autant.

On sait bien que le pape François a déclaré que se faire vacciner était un devoir éthique. C’est ce qu’il a déclaré dans une interview. Mais quand le Pape a approuvé et fait publier la note officielle par laquelle la Congrégation pour la doctrine de la foi a déclaré la licéité morale de ces soi-disant vaccins, il a également approuvé le passage de ce texte où l’on précise que la vaccination ne doit pas être obligatoire.

D’un autre côté, l’Union européenne a exclu qu’il puisse y avoir des discriminations directes ou indirectes non seulement envers ceux qui ne peuvent pas être vaccinées mais également envers ceux qui ne veulent pas le faire. Le gouvernement italien suit-il ces indications ? L’a-t-il fait quand il a imposé la vaccination au personnel de santé ? Et le fait-il aujourd’hui, quand il impose la vaccination aux enseignants, sous peine de perdre leur salaire, c’est-à-dire la possibilité de nourrir leur famille et de payer leurs factures ? Tout cela en continuant à prétendre qu’en Italie, il n’existe aucune obligation vaccinale. Mais s’il se fait qu’un père de famille exerce la profession d’enseignant ne souhaite pas être vacciné, comment peut-on dire que ce n’est pas obligatoire étant donné que, s’il n’accepte pas l’imposition, on lui supprime son salaire qui lui permet de vivre, lui et ses ceux qui lui sont chers ?

Parmi les freevax, nombreux sont ceux qui se sont fait vacciner ou qui le feront prochainement. Il ne s’agit pas pour autant d’une prise de position négationniste ou idéologique. Il s’agit de défendre non pas le libertarisme mais la liberté, cette liberté qui, comme le rappelle à bon escient le professeur De Marco, ne revient pas à nier le principe d’autorité ni faire tout ce qu’on veut. Cette liberté est au contraire fondée sur la raison et sur la possibilité d’une autodétermination honnête et responsable des personnes, sur base d’une conscience correctement formée. Paradoxalement, si les choses devaient mal tourner à l’avenir, on se rendrait compte que ceux qui ne se sont pas fait vacciner auront été plus nomiques que ceux qui l’ont fait sans conviction et sans réfléchir, en se fiant aveuglément au concert d’exhortations des autorités, ou même en subissant leurs impositions sans se défendre.

Si ensuite – qu’à Dieu ne plaise ! – les soi-disant vaccinés devaient souffrir d’effets secondaires à moyen ou long terme, ceux qui feront tourner la société, à divers points de vue, ce seront justement ceux qui auront échappé à ces effets parce qu’ils ne seront pas vaccinés. Dans un tel scénario quasi apocalyptique, il apparaîtrait que ceux qui ont à l’époque suivi le « nomos » objectif de la loi naturelle et divine, apprise et appliquée en âme et conscience auront été clairvoyants, prophétiques et en l’occurrence nomiques et qu’en revanche ceux qui se seront laissés convaincre sans réfléchir par la séduisante propagande incessante – et parfois la censure – médiatique auront été les véritables anomiques, parce qu’ils auront substitué à la loi la confiance aveugle en l’autorité, cette même autorité qui est soumise à la loi et à laquelle on ne peut prudemment offrir une confiance totale qu’en suspendant également l’usage de la raison.

Il reste à espérer que l’on revienne très rapidement à un exercice de l’autorité qui consiste à soutenir le développement de la personne davantage qu’à décider à sa place, en la privant de fait de responsabilité.  À la différence de ce qu’un maire italien a récemment prétendu, en démocratie celui qui gouverne ou qui administre n’est pas le « père » des citoyens, mais bien un représentant du peuple. Il est bon de rappeler aux dirigeants qu’ils sont au service de ceux qui les ont élus (il en va de même pour les quelques leaders qui ne sont pas élus mais nommés : une autre anomalie de notre époque) et que les citoyens ne sont pas tenus à accepter une sorte de « patria potestà » de la part de ceux qui les représentent.

Mauro Gagliardi

La réplique de Pietro De Marco

Cher M. Gagliardi,

Je tiens à vous faire part de toute mon appréciation pour la qualité de votre réflexion, d’autant plus que nous avons reçu (j’entends M. Magister et moi-même) certaines réprobations courroucées. Peut-être devrions-nous sans cesse nous excuser de parfois trop accentuer certains points.

Je précise d’emblée que ce n’est pas par obéissance au Pape François, avec lequel je ne suis malheureusement pas toujours d’accord au niveau théologique et ecclésiologique, que j’ai pris position, mais pour la raison que j’ai écrite : l’abus à droite comme à gauche, dans le monde laïc comme dans le monde catholique, d’arguments libertaires ou même techniquement libéraux, en oubliant qu’ils n’ont pas de pertinence politique ni juridique dans le « Notfall », dans l’état de nécessité, dans lequel se trouvent les populations.

Vous m’opposez la conscience formée et la norme objective supérieure, voire suprême, qui la dirige. Je dirais que les arguments libertaires ou libéraux invoqués fin mars-avril 2020 revendiquaient déjà un fondement analogue – l’individu, la conscience -, même s’il s’appuie sur des « droits fondamentaux » et non sur la norme de droit naturel et divin. Dans les deux cas cependant, les styles de déduction du choix, ce qui est réellement en jeu, ce qui décide quelle décision prendre, c’est le jugement sur le fait.

Vous argumentez, comme beaucoup d’autres penseurs « modérés » : 1) que les vaccins n’en sont pas vraiment ; 2) que de toute manière ils ne protègent pas les vaccinés de la contamination ; 3) que nous ne connaissons pas et ne pouvons pas savoir aujourd’hui s’il y aura des effets imprévus et peut-être néfastes à long terme. Bref, ce qui prévaudrait dans l’élan des autorités pour la vaccination collective, c’est l’aspect d’expérimentation sur celui de la certitude du traitement.

Or ces raisons peuvent contribuer à la formation d’un jugement suspensif, de prudence maximale. Mais il ne faut pas perdre de vue que la vaccination de milliards de personnes n’est pas le thème d’un exercice académique ni un sujet de référendum, ni une alternative entre des choix indifférents. La vaccination est certainement aujourd’hui une nécessité. Les États – et une grande partie des citoyens – qui avaient initialement fait un choix différent ont dû se raviser et agir avec une plus grande détermination. La conscience formée à laquelle l’on demande de décider et d’agir a besoin d’une vision intellectuelle complète, informée des conséquences, et requiert de se savoir responsable. Il n’est pas légitime de s’arrêter au sacro-saint libre choix, en suspendant son action.

Avant tout parce que cela est déjà un choix en soi. Ce n’est pas un hasard si les antivax radicaux ont d’abord opté pour l’inexistence du virus, comme s’il s’agissait d’une mise en scène politique mondiale, ensuite pour son caractère inoffensif, et enfin pour un danger provoqué à dessein, dans le cadre d’un projet de soumission de l’humanité. Dans ces cas, qui démontrent tous une domination pharmaceutique du monde, se soustraire à la vaccination devient un choix obligatoire pour la conscience ainsi « informée ».

Mais le « vaccin libre » non apocalyptique ni complotiste mais seulement perplexe, ne peut moralement en faire un principe non-négociable, parce que le bénéfice de la vaccination pour des milliards d’hommes dépasse largement les risques pour des individus, même nombreux. Il y a une tradition de casuistique catholique claire sur ce point : le cas célèbre de deux alpinistes bloqués sur une paroi rocheuse. Si aucun des deux ne fait rien, ils chuteront tous les deux dans le vide. Celui des deux qui peut le faire doit se sauver, même si cela entraîne la mort certaine de l’autre. Les gouvernements ne peuvent s’arrêter sur le seuil de la non-décision, qui revient à attendre que les pitons cèdent ; et ils ne se sont d’ailleurs pas arrêtés, dans le plein respect de la légalité constitutionnelle de l’état d’urgence. Les risques futurs, qui sont tous de l’ordre du possible, n’ont pas le même caractère obligatoire, dans la formation d’une décision, que les preuves présentes, de l’ordre de l’être.

Et j’ajoute : l’idée que l’on se trouverait dans une phase d’expérimentation est conceptuellement erronée, mais les spécialistes ne sont pas de bons philosophes. L’expérimentation au sens strict du terme a déjà eu lieu et une autre est en train d’avoir lieu pour améliorer les produits de la première génération, dans le cadre et le respect de protocoles appropriés. Nous nous trouvons dans la phase initiale de l’administration d’un médicament indispensable, en affrontant en tant qu’hommes les risques connexes, comme dans l’histoire de tous les médicaments. L’idée que nous serions pour cela des cobayes est paranoïaque ou appartient à une logique fallacieuse.

Pietro De Marco.

Sandro Magister est vaticaniste à L’Espresso.

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Date de publication: 18/08/2021