Un synode qui déraille. Les critiques de l’archevêque de Philadelphie

Aujourd’hui s’ouvre un syno­de au thè­me plu­tôt vague : « Les jeu­nes, la foi et le discer­ne­ment voca­tion­nel ». Et le docu­ment sur lequel les pères syno­daux sont appe­lés à « tra­vail­ler » ne vaut pas mieux.

Le docu­ment en que­stion s’intitule « Instrumentum labo­ris », instru­ment de tra­vail, et il con­sti­tue le fil con­duc­teur des déba­ts à venir.  Des déba­ts qui ont par ail­leurs déjà com­men­cé avec des cri­ti­ques viru­len­tes sur la for­mu­la­tion de ce tex­te pré­pa­ra­toi­re.

C’est sur­tout l’archevêque de Philadelphie, Mgr Charles J. Chaput, élu par le pré­cé­dent syno­de pour fai­re par­tie du panel inter­con­ti­nen­tal restreint d’évêques char­gés d’organiser le syno­de actuel, qui don­ne voix à ces cri­ti­ques.

Dans un pre­mier temps, l’été der­nier, Mgr Chaput a deman­dé de suspen­dre la célé­bra­tion du syno­des sur les jeu­nes, étant don­né la natu­re bien dif­fé­ren­te des que­stions qui agi­tent aujourd’hui la vie de l’Église.

Ensuite, vu que le syno­de allait de tou­te façon avoir lieu, il a publié same­di 29 sep­tem­bre der­nier la cri­ti­que sui­van­te de l’Instrumentum labo­ris en choi­sis­sant com­me tri­bu­ne le quo­ti­dien d’opinion ita­lien « Il Foglio » :

Un sino­do sen­za fede

Selon Mgr Chaput, le docu­ment pré­pa­ra­toi­re du syno­de « doit être revu et cor­ri­gé » par­ce que « en l’état, ce tex­te relè­ve davan­ta­ge des scien­ces socia­les que d’un appel à croi­re, à la con­ver­sion et à la mis­sion ».

La cri­ti­que de Mgr Chaput – dont on sait que le con­stat est par­ta­gé par les qua­tre évê­ques que la con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le amé­ri­cai­ne a élus com­me repré­sen­tan­ts aux syno­de – a eu le don d’irriter les porte-paroles du Vatican, au point que le car­di­nal Lorenzo Baldisseri, le secré­tai­re géné­ral du syno­de aux ordres du Pape François, a atta­qué fron­ta­le­ment Mgr Chaput, sans cepen­dant citer son nom, pen­dant la con­fé­ren­ce de pres­se de pré­sen­ta­tion du syno­de, lun­di 1er octo­bre :

« Certaines per­son­nes ont deman­dé dans un pre­mier temps d’annuler le syno­de, et se sont ensui­te plain­tes que l’Instrumentum labo­ris n’était pas bien rédi­gé.  En fait, il s’agit d’une seu­le per­son­ne.  De plus, la per­son­ne en que­stion a décla­ré qu’elle n’était pas d’accord par­ce qu’elle avait fait étu­dier le tex­te par un théo­lo­gien.  Mais la per­son­ne en que­stion est mem­bre du con­seil ordi­nai­re du secré­ta­riat du syno­de et elle était pré­sen­te au moment de la pré­sen­ta­tion du tex­te de base, donc si elle avait des objec­tions elle n’avait qu’à les fai­re valoir et nous aurions pu tran­quil­le­ment les insé­rer.  Par con­sé­quent, je ne com­prends pas pour­quoi elle a fait ces décla­ra­tions.  Autant sur le plan de l’honnêteté que de la loyau­té. »

A vrai dire – con­trai­re­ment à ce qu’affirme Mgr Baldisseri – Mgr Chaput n’a pas « fait étu­dier le tex­te par un théo­lo­gien ». Il s’est en fait appro­prié les cri­ti­ques de l’Instrumentum labo­ris qu’un théo­lo­gien avait émi­ses il y a quel­que temps.  Un théo­lo­gien dont le nom n’a pas été ren­du public que Mgr Chaput lui-même qua­li­fie de « théo­lo­gien respec­té d’Amérique du Nord» dans sa pré­sen­ta­tion aux lec­teurs de « First Things » :

> Thoughts on the “Instrumentum labo­ris”

Mgr Chaput a invi­té à pren­dre au sérieux les cri­ti­ques de ce théo­lo­gien ano­ny­mes « qui sont suf­fi­sam­ment sub­stan­tiel­les pour méri­ter d’être pri­ses en con­si­dé­ra­tion et discu­tées bien plus lar­ge­ment ».

En voi­ci quel­ques pas­sa­ges.

Le pre­mier, repris de la cri­ti­que du « natu­ra­li­sme «  de l’Instrumentum labo­ris.

« On discu­te beau­coup de ce que veu­lent les jeu­nes; très peu de la maniè­re dont leurs deman­des doi­vent être tran­sfor­mées par la grâ­ce en une vie qui cor­re­spon­de à la volon­té de Dieu pour leurs vies. Après des pages et des pages d’analyses de leurs con­di­tions maté­riel­les, l’Instrumentum labo­ris n’offre aucu­ne orien­ta­tion sur la façon dont ces préoc­cu­pa­tions maté­riel­les peu­vent être éle­vées et menées vers leur fin sur­na­tu­rel­le.  Bien que l’Instrumentum labo­ris cri­ti­que quel­que peu les buts exclu­si­ve­ment matérialistes/utilitaristes (§ 147), la plus gran­de par­tie de ce tex­te se bor­ne à énu­mé­rer les dif­fé­ren­tes réa­li­tés socio-économiques et cul­tu­rel­les des jeu­nes adul­tes sans offrir de réfle­xion digne de ce nom con­cer­nant les préoc­cu­pa­tions spi­ri­tuel­les, exi­sten­tiel­les ou mora­les.  Le lec­teur pour­rait tout à fait en dédui­re que ces der­niè­res n’ont aucu­ne impor­tan­ce pour l’Église. »

Ces autres trois pas­sa­ges sont extrai­ts du cha­pi­tre inti­tu­lé « Une con­cep­tion erro­née de l’autorité spi­ri­tuel­le de l’Église » :

« L’Instrumentum labo­ris ren­ver­se les rôles respec­tifs de l’eccle­sia docens et de l’eccle­sia discens.  Le tex­te tout entier est fon­dé sur la con­vic­tion que le rôle prin­ci­pal de l’Église magi­sté­riel­le soit d’écou­ter.  Le point le plus pro­blé­ma­ti­que est le §140 :’ L’Église devra adop­ter le dia­lo­gue com­me sty­le et métho­de, pro­mou­voir une pri­se de con­scien­ce de l’existence de liens et de con­nec­tions dans une réa­li­té com­ple­xe…  Aucune voca­tion, sur­tout au sein de l’Église, ne peut se situer hors de cet­te dyna­mi­que de dia­lo­gue en sor­tie [en gras].’  En d’autres mots, l’Église ne pos­sè­de pas la véri­té mais doit pren­dre sa pla­ce au par­mi d’autres voix  Ceux qui ava­ient le rôle d’enseigner ou de prê­cher dans l’Église doi­vent rem­pla­cer leur auto­ri­té par le dia­lo­gue. »

« La con­sé­quen­ce théo­lo­gi­que de cet­te erreur, c’est l’amalgame entre le sacer­do­ce bap­ti­smal et le sacer­do­ce sacra­men­tel.  Depuis la fon­da­tion de l’Église, par un com­man­dent divin, on a deman­dé aux mini­stres ordon­nés de l’église d’enseigner et de prê­cher ; depuis les ori­gi­nes, on a deman­dé aux fidè­les bap­ti­sés d’écouter et de se con­for­mer à la Parole ain­si pêchée.  De plus, le man­dat d’annoncer la Parole a été insti­tué par notre Seigneur en même temps que le mini­stè­re sacer­do­tal lui-même (Mt 28 :19, 20).  Si l’Église devait aban­don­ner son mini­stè­re de pré­di­ca­tion, c’est-à-dire si on inver­sait l’Église ensei­gnan­te et l’Église écou­tan­te, c’est la hié­rar­chie tou­te entiè­re qui serait inver­sée et le sacer­do­ce mini­sté­riel se rédui­rait au mini­stè­re bap­ti­smal.  En d’autres ter­mes, nous devien­drions luthé­riens. »

« Ce gra­ve pro­blè­me ecclé­sio­lo­gi­que mis à part, cet­te appro­che pré­sen­te éga­le­ment un pro­blè­me pasto­ral. On sait bien que les ado­le­scen­ts issus de famil­les laxi­stes aspi­rent à ce que leurs paren­ts se préoc­cu­pent assez d’eux pour leur fixer des limi­tes et des repè­res, même s’ils se rebel­lent con­tre ces repè­res.  De la même maniè­re, l’Église com­me mère et ensei­gnan­te ne peut, par négli­gen­ce ou par peur, aban­don­ner ce rôle néces­sai­re de fixer des limi­tes et des repè­res (Cf. §178).  À cet égard, le §171, qui men­tion­ne la mater­ni­té de l’Église, ne va pas assez loin.  Il ne pro­po­se qu’un rôle d’écoute et d’accompagnement en éli­mi­nant son rôle d’enseignement. »

Et ce der­nier est tiré du cha­pi­tre inti­tu­lé « Une anth­ro­po­lo­gie théo­lo­gi­que incom­plè­te » :

« Le discours de l’Instrumentum labo­ris sur la per­son­ne humai­ne échoué à fai­re la moin­dre allu­sion à la volon­té.  À de nom­breux endroi­ts, la per­son­ne humai­ne est rédui­te à ‘intel­lect et désir’, ‘rai­son et affec­ti­vi­té’ (§ 147).  Pourtant, l’Église ensei­gne que l’homme, créé à l’image de Dieu, pos­sè­de un intel­lect et une volon­té alors qu’il par­ta­ge avec le reste du règne ani­mal un corps et un affect.   C’est la volon­té qui est fon­da­men­ta­le­ment diri­gée vers le bien.  La con­sé­quen­ce théo­lo­gi­que de cet­te omis­sion fla­gran­te est d’une extraor­di­nai­re impor­tan­ce, pui­sque le siè­ge de la vie mora­le rési­de dans la volon­té et non dans les vicis­si­tu­des de l’affect. »

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 3/10/2018