Révolution sexuelle dans l’Église. Tous dedans, mais au prix d’exclure Dieu


(s.m.) Le logo du syno­de sur la syno­da­li­té, con­vo­qué en ses­sion plé­niè­re en octo­bre pro­chain, est une ten­te qui s’élargit. Pour fina­le­ment « accueil­lir et accom­pa­gner » notam­ment ceux qui « ne se sen­tent pas accep­tés par l’Église ».

Et qui donc figu­re en tête de liste de ces exclus dans l’ « Instrumentum labo­ris », le docu­ment qui ser­vi­ra de gui­de au syno­de ? « Les divor­cés rema­riés, les per­son­nes vivant dans des maria­ges poly­ga­mes ou les per­son­nes LGBTQ+ ».

Voilà des années que ces typo­lo­gies humai­nes font l’objet de tous les déba­ts dans l’Église. L’Allemagne a d’ailleurs lan­cé son pro­pre « che­min syno­dal » dans l’objectif avoué de révo­lu­tion­ner la doc­tri­ne de l’Église sur la sexua­li­té.

Mais la rési­stan­ce à cet­te déri­ve est for­te aus­si, chez ceux qui y voient une capi­tu­la­tion devant l’esprit du temps qui remet en que­stion les fon­de­men­ts même de la foi chré­tien­ne.

L’intervention qui va sui­vre se situe sur ce ver­sant cri­ti­que. Elle a été offer­te pour publi­ca­tion à Settimo Cielo par le théo­lo­gien suis­se Martin Grichting, l’ancien vicai­re géné­ral du dio­cè­se de Coire.

Ce der­nier clô­tu­re sa réfle­xion en citant Blaise Pascal dans sa polé­mi­que avec les jésui­tes de son épo­que. Ce sont des pages, écrit-il, « qui nous récon­for­tent par­ti­cu­liè­re­ment dans la situa­tion actuel­le ».

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L’Église et « l’inclusion »

de Martin Grichting

L’ « Intrumentum labo­ris » (IL) du Synode des évê­ques sur la syno­da­li­té poin­te l’Église du doigt pour le fait que cer­tains – dit-il – « ne se sen­tent pas accep­tés » par elle, « com­me les divor­cés rema­riés, les per­son­nes vivant dans des maria­ges poly­ga­mes ou les per­son­nes LGBTQ+ » (IL, B 1.2).

Et elle se deman­de : « Comment pouvons-nous créer des espa­ces dans lesquels les per­son­nes qui se sen­tent bles­sées par l’Église et mal accueil­lies par la com­mu­nau­té peu­vent se sen­tir recon­nues, accueil­lies, non jugées et libres de poser des que­stions ? ».

On insi­nue donc que ce serait l’Église elle-même la respon­sa­ble du fait que ces per­son­nes se sen­tent « bles­sées », « mal accueil­lies » ou « exclues ». Mais que fait l’Église ? Elle n’enseigne rien qu’elle ait inven­té elle-même, mais elle pro­cla­me ce qu’elle a reçu de Dieu. Donc, si cer­tai­nes per­son­nes se sen­tent « bles­sées », « mal accueil­lies » ou « exclues » des con­te­nus prin­ci­paux de l’enseignement de l’Église sur la foi et sur la mora­le, alors elles se sen­tent « bles­sées », « mal accueil­lies » ou « exclues » par Dieu. Parce que sa paro­le éta­blit que le maria­ge est com­po­sé d’un hom­me et d’une fem­me et que le lien matri­mo­nial est indis­so­lu­ble. Et sa paro­le a éta­bli que l’homosexualité vécue et pra­ti­quée est un péché.

Toutefois, il est fla­grant que les gestion­nai­res du syno­de refu­sent de dire cela de maniè­re aus­si clai­re. C’est pour­quoi ils accu­sent l’Église et essayent d’enfoncer un coin entre elle et Dieu. Et pour­tant Jésus Christ a dit : « Celui qui est un scan­da­le, une occa­sion de chu­te, pour un seul de ces peti­ts qui cro­ient en moi, mieux vau­drait pour lui qu’on lui atta­che au cou une de ces meu­les que tour­nent les ânes, et qu’on le jet­te à la mer. » (Mc 9, 42). Il est curieux que les respon­sa­bles du syno­de sem­blent avoir oublié cet­te paro­le non inclu­si­ve de Jésus. Et ain­si on pré­tend que ce ne serait que l’Église qui « bles­se » les per­son­nes et les fait sen­tir « mal accueil­lies » ou « exclues ».

Toutefois, cet­te thè­se a de gra­ves con­sé­quen­ces. Si, pen­dant deux mil­le ans, l’Église s’est com­por­tée de maniè­re fon­da­men­ta­le­ment dif­fé­ren­te de la volon­té de Dieu sur ces que­stions essen­tiel­les de la doc­tri­ne de la foi et de la mora­le, elle n’est plus digne de foi sur aucu­ne que­stion. Parce qu’alors, qu’est-ce qui est enco­re cer­tain ?

Ce que l’IL lais­se enten­dre discré­di­te l’Église tout entiè­re. Mais cela sou­lè­ve éga­le­ment la que­stion de Dieu. Comment peut-on pen­ser que Dieu ait créé l’Église – le corps du Christ qui vit en ce mon­de, auquel Dieu insuf­fle son Esprit de véri­té pour l’assister – alors que dans le même temps il a lais­sé cet­te même Église et des mil­lions de croyan­ts se four­voyer sur ces que­stions essen­tiel­les pen­dant deux mil­le ans ? Comment pourrait-on enco­re croi­re à une Église de ce gen­re ? Si elle ain­si fai­te, tout ce qu’elle dira ne serait-il pas pro­vi­soi­re, réver­si­ble, erro­né et donc insi­gni­fiant ?

Mais l’Église est-elle vrai­ment « exclu­si­ve », c’est-à-dire « excluan­te » par la maniè­re dont elle s’est com­por­tée pen­dant deux mil­le ans sur les que­stions posées ? Au con­trai­re, cela fait deux mil­le ans qu’elle vit l’inclusion. Autrement elle ne serait pas aujourd’hui répan­due dans le mon­de entier et ne com­pren­drait pas 1,3 mil­liard de croyan­ts. Mais les instru­men­ts de l’Église ne sont pas – com­me le pré­tend l’IL – la « recon­nais­san­ce » ou « l’absence de juge­ment » de ce qui con­tre­dit les com­man­de­men­ts de Dieu. Les « instru­men­ts » avec lesquels l’Église inclut sont le caté­chu­mé­nat et le bap­tê­me, la con­ver­sion et le sacre­ment de récon­ci­lia­tion. C’est pour cela que l’Église par­le de com­man­de­men­ts de Dieu et de loi mora­le, de péché, du sacre­ment de la récon­ci­lia­tion, de cha­ste­té, de sain­te­té et de voca­tion à la vie éter­nel­le. Aucun de ces con­cep­ts ne figu­re dans les 70 pages de l’IL.

Certes, on retrou­ve les mots « repen­tan­ce » (2 fois) et « con­ver­sion » (12 fois). Mais si l’on tient comp­te de leur con­tex­te respec­tif, on con­sta­te que dans l’IL ces deux ter­mes ne se réfè­rent pre­sque jamais à l’éloignement de l’homme du péché mais qu’ils se réfè­rent à une action struc­tu­rel­le, c’est-à-dire à l’Église. Ce n’est plus le pécheur qui doit se repen­tir et se con­ver­tir, non, c’est l’Église qui doit se con­ver­tir – « syno­da­lem­lent » — à la « recon­nais­san­ce » de ceux qui exi­gent de ne pas vou­loir sui­vre ses ensei­gne­men­ts et donc Dieu.

Le fait que les orga­ni­sa­teurs du syno­de ne par­lent plus de péché, de repen­tan­ce et de con­ver­sion des pécheurs lais­se pen­ser qu’ils cro­ient avoir aujourd’hui trou­vé une autre façon d’enlever le péché du mon­de. Tout cela rap­pel­le les évé­ne­men­ts décri­ts par Blaise Pascal, né il y a tout juste 400 ans, dans ses « Provinciales » (1656/1657). Dans ces der­niè­res, Pascal abor­de la mora­le jésui­ti­que de son épo­que, qui minait les ensei­gne­men­ts moraux de l’Église par une casui­sti­que fai­te de sophi­smes, allant jusqu’à les tran­sfor­mer en leur con­trai­re. Dans sa Quatrième let­tre, il cite un cri­ti­que d’Étienne Bauny qui disait de ce jésui­te : « Ecce qui tol­lit pec­ca­ta mun­di », voi­ci celui qui enlè­ve les péchés du mon­de, jusqu’à en fai­re dispa­raî­tre l’existence même par ses sophi­smes. De tel­les aber­ra­tions des jésui­tes furent par la sui­te con­dam­nées à plu­sieurs repri­ses par le magi­stè­re ecclé­sia­sti­que. Parce que ce ne sont clai­re­ment pas eux qui enlè­vent le péché du mon­de. C’est l’Agneau de Dieu. Et il en va de même aujourd’hui, par la foi de l’Église.

Pour Blaise Pascal, la maniè­re dont la trom­pe­rie et la mani­pu­la­tion se dérou­la­ient au sein de l’Église avait quel­que cho­se d’épouvantable, et donc même de vio­lent. Dans sa Douzième let­tre, il nous a lais­sé des lignes qui nous récon­for­tent même dans la situa­tion actuel­le :

« Quand la for­ce com­bat la for­ce, la plus puis­san­te détruit la moin­dre : quand l’on oppo­se les discours aux discours, ceux qui sont véri­ta­bles et con­vain­can­ts con­fon­dent et dis­si­pent ceux qui n’ont que la vani­té et le men­son­ge : mais la vio­len­ce et la véri­té ne peu­vent rien l’une sur l’autre. Qu’on ne pré­ten­de pas de là néan­moins que les cho­ses soient éga­les : car il y a cet­te extrê­me dif­fé­ren­ce, que la vio­len­ce n’a qu’un cours bor­né par l’ordre de Dieu, qui en con­duit les effe­ts à la gloi­re de la véri­té qu’elle atta­que : au lieu que la véri­té sub­si­ste éter­nel­le­ment, et triom­phe enfin de ses enne­mis, par­ce qu’elle est éter­nel­le et puis­san­te com­me Dieu même. »

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 1/08/2023