Répétitions pour le conclave, avec Parolin en pole position

Au Vatican et en-dehors, on mur­mu­re qu’il y aurait trois can­di­da­ts papa­bi­le. Un asia­ti­que, un afri­cain et même un ita­lien.  Mais seul le troi­siè­me aurait un mini­mum de chan­ces d’être élu dans un futur et hypo­thé­ti­que con­cla­ve.

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L’asiatique, c’est l’archevêque de Manille, Luis Antonio Gokim Tagle, un phi­lip­pin né d’une mère chi­noi­se qui a fait ses étu­des aux Etats-Unis. Pour les par­ti­sans du Pape François, ce serait le can­di­dat idéal pour recueil­lir son héri­ta­ge.

En 2015, Jorge Mario Bergoglio l’a nom­mé pré­si­dent de Caritas Internationalis après l’avoir éga­le­ment ame­né à pré­si­der le syno­de des évê­ques sur la famil­le. Et en avril 2016, juste après la sor­tie de l’exhortation « Amoris lae­ti­tia » dans laquel­le le pape ouvrait la com­mu­nion aux divor­cés rema­riés, Tagle a été le pre­mier de tous les évê­ques dans le mon­de à en don­ner l’interprétation la plus lar­ge.

A ceux qui objec­tent que le magi­stè­re liqui­de du Pape François fait sur­gir plus de dou­tes que de cer­ti­tu­des, il répond qu’ « il est de temps en temps bon d’être con­fus par­ce que si les cho­ses éta­ient tou­jours clai­res, il n’y aurait plus de véri­ta­ble vie ».

[Sur le par­cours de l’Eglise à l’époque actuel­le, il a pour­tant des idées très clai­res : avec le Concile Vatican II, l’Eglise a rom­pu avec le pas­sé et mar­qué un nou­veau départ. C’est la thè­se histo­rio­gra­phi­que appe­lée « éco­le de Bologne », fon­dée par Giuseppe Dossetti et aujourd’hui cha­peau­tée par Alberto Melloni et dont Tagle fait par­tie.  On lui doit l’un des chapitres‑c lés de l’histoire du con­ci­le la plus lue au mon­de, le cha­pi­tre sur la « semai­ne noi­re » d’automne 1964.  Il est aux anti­po­des de l’interprétation du Concile four­nie par Benoît XVI qui, magna­ni­me, a créé Tagle car­di­nal.]

Il est pour­tant exclu qu’il soit élu pape. Il res­sem­ble trop à Bergoglio pour ne pas finir bat­tu par les mul­ti­ples réac­tions au pon­ti­fi­cat actuel qui sur­gi­ront iné­vi­ta­ble­ment en mar­ge d’un futur con­cla­ve.  Et puis, il y a l’obstacle de l’âge.  Tagle a 60 ans et pour­rait donc régner long­temps, trop long­temps pour qu’on puis­se miser sur lui.

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L’Africain, c’est le car­di­nal Robert Sarah, 72 ans, ori­gi­nai­re de Guinée. Irréductible témoin de la foi sous le régi­me mar­xi­ste san­gui­nai­re de Sékou Touré, il n’a échap­pa à la mort que par le décès impromp­tu du tyran en 1981.  Il a gran­di dans la sava­ne mais il a pour­sui­vi des étu­des de haut niveau en France et à Jérusalem ; ordon­né évê­que à 33 ans seu­le­ment par Paul VI, il a appe­lé à Rome par Jean-Paul II et main­te­nu par Benoît XVI avec lequel il est enco­re tota­le­ment en pha­se à l’heure actuel­le.

Ce sont ses deux livres tra­dui­ts en plu­sieurs lan­gues qui ont révé­lé Sarah au mon­de : « Dieu ou rien » en 2015 et « La for­ce du silen­ce » cet­te année. Il y a un gouf­fre entre sa vision de la mis­sion de l’Eglise et cel­le du pape jésui­te, tant sur le fond que dans le sty­le.  Pour Sarah, tout com­me pour Joseph Ratzinger en son temps, la prio­ri­té abso­lue c’est d’apporter Dieu au cœur des civi­li­sa­tions, tout par­ti­cu­liè­re­ment là où sa pré­sen­ce s’est voi­lée.

Pour ceux qui s’opposent au Pape François au nom de la gran­de tra­di­tion de l’Eglise, c’est lui le can­di­dat idéal.  Mais dans un col­lè­ge car­di­na­li­ce qui a déjà pour moi­tié été nom­mé par Bergoglio, il est impen­sa­ble qu’il attei­gne les deux tiers des voix néces­sai­res pour être élu.

Il n’en demeu­re pas moins que dans l’histoire de l’Eglise, la can­di­da­tu­re de Sarah con­sti­tue la pre­miè­re véri­ta­ble can­di­da­tu­re, quoi­que pure­ment sym­bo­li­que, d’un pape ori­gi­nai­re d’Afrique noi­re.

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Bien loin d’être sym­bo­li­que, la troi­siè­me can­di­da­tu­re est au con­trai­re très réa­li­ste, il s’agit de cel­le de Pietro Parolin, le car­di­nal Secrétaire d’Etat.

Il faut retour­ner au con­cla­ve de 1963 pour retrou­ver, avec Paul VI, un ecclé­sia­sti­que qui a gran­di au sein de la Curie vati­ca­ne et dispo­sant de capa­ci­tés de lea­der­ship recon­nues, après un pon­ti­fi­cat, com­me celui de Jean XXIII, qui avait mis en bran­le un con­ci­le qui était cepen­dant en plein mara­sme et n’avait enco­re pro­duit aucun docu­ment. Paul VI avait réus­si dans cet­te entre­pri­se, mal­gré qu’il se soit inju­ste­ment retrou­vé dans la liste noi­re de ceux que l’on a accu­sé de tra­hir les révo­lu­tions.

Aujourd’hui, la mis­sion qu’un nom­bre crois­sant de car­di­naux ver­ra­ient bien con­fier à Parolin serait de gou­ver­ner la bar­que de l’Eglise dans la tem­pê­te déchaî­née par le pape François et d’en cor­ri­ger les déri­ves sans en tra­hir l’esprit.

Comme Secrétaire d’Etat, il a démon­tré qu’il en avait la capa­ci­té, même sur des dos­siers par­ti­cu­liè­re­ment com­ple­xes com­me ceux de la Chine ou du Venezuela où il sait com­ment rete­nir les impa­tien­ces et les com­pro­mis­sions d’un Bergoglio qui aime n’en fai­re qu’à sa tête.

De plus, il y a en Parolin un pro­fil de pasteur doté d’une soli­de for­ma­tion théo­lo­gi­que, ce qui est plu­tôt rare chez les diplo­ma­tes d’envergure. Il en a fait la pre­u­ve au cours de son récent voya­ge à Moscou où les col­lo­ques au plus haut niveau poli­ti­que ont alter­né avec les ren­con­tres reli­gieu­ses avec les chefs de l’Eglise ortho­do­xe rus­se, pré­ci­sé­ment com­me c’est le cas au cours d’un voya­ge pon­ti­fi­cal bien struc­tu­ré.

Bien enten­du, ces anti­ci­pa­tions ne sont que de pures hypo­thè­ses, tant que François règne.

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Cet arti­cle a été publié dans le n°41 de “L’Espresso” de 2017, sor­ti en librai­rie le 8 octo­bre, dans la rubri­que d’o­pi­nion inti­tu­lée “Settimo Cielo” con­fiée à Sandro Magister.

Voici l’in­dex des arti­cles pré­cé­den­ts:

> “L’Espresso” au sep­tiè­me ciel

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Date de publication: 8/10/2017