Re contre Zen.  Une muraille de Chine les sépare

De “Asia News” du 3 mars 2020

Sur l’accord entre la Chine et le Vatican, le dialogue entre les deux cardinaux est urgent

de Bernardo Cervellera

J’écris ces lignes avec la dou­leur de voir deux car­di­naux que j’ai l’hon­neur de con­naî­tre, deux témoins de la foi et col­la­bo­ra­teurs du Pape dans la mis­sion de l’Église, débat­tre en public sans peut-être avoir pris la pei­ne de discu­ter direc­te­ment entre eux (voir les let­tres du car­di­nal Giovanni Battista Re et du car­di­nal Joseph Zen Zekiun).  Cela me don­ne l’impression qu’au Vatican, com­me dans le mon­de, on pré­fè­re affir­mer sa pro­pre véri­té, ou mieux son pro­pre point de vue, sans cher­cher à écou­ter l’autre, sans pren­dre la pei­ne d’arriver à une syn­thè­se.

Le car­di­nal Zen m’a dit que lors de ses visi­tes à Rome, il s’est sou­vent retrou­vé face à un mur de silen­ce.

Et c’est juste­ment durant le pon­ti­fi­cat de François qui sou­li­gne sou­vent que « le tout est supé­rieur à la par­tie » (Evangelii gau­dium, n°234–237), que deux camps deux camps oppo­sés et sourds l’un à l’autre  se sont dres­sés dans l’Église : tra­di­tion­nels et libé­raux ; pro-Chine et anti-Chine ; pro-accord et anti-accord…  Et tout ce beau mon­de se retrou­ve en fin de comp­te clas­sé en deux caté­go­ries  : les pro-Bergoglio et les anti-Bergoglio, dans une logi­que qui vou­drait tout qui expri­me per­ple­xi­té sur un évé­ne­ment de la vie de l’Église se retrou­ve immé­dia­te­ment dans l’une de ces deux caté­go­ries : est-il pour ou con­tre le pape François ?

Et la let­tre du car­di­nal Re elle-même risque bien de tom­ber dans ce sché­ma quand elle affir­me que les « affir­ma­tions très lour­des » du car­di­nal Zen « con­te­stent la con­dui­te pasto­ra­le du Saint-Père ».  Et pour­tant, le car­di­nal Re admet lui aus­si qu’en Chine « sur le plan doc­tri­nal » et « sur le plan pra­ti­que… des ten­sions et des situa­tions dou­lou­reu­ses demeu­rent », des situa­tions que l’évêque émé­ri­te de Hong Kong met en lumiè­re.

Selon moi, il con­vien­drait de se met­tre autour de la table et de trou­ver une syn­thè­se entre la posi­tion du car­di­nal Re, selon laquel­le l’accord entre la Chine et le Vatican est posi­tif et « à l’heure actuel­le, sem­ble être le seul pos­si­ble » et cel­le du car­di­nal Zen qui est pro­che de « tous les frè­res oppri­més » qui sont cha­que jour vic­ti­mes de pres­sions, de vio­la­tions de leurs droi­ts, d’expulsions, d’asphyxies et de destruc­tions.  Cela con­cer­ne non seu­le­ment les fidè­les des com­mu­nau­tés non-officielles mais aus­si de nom­breux prê­tres et évê­ques de l’Église offi­ciel­le qui ne con­sta­tent aucu­ne amé­lio­ra­tion de la liber­té reli­gieu­se depuis l’accord.

Il est temps que les deux par­tis pro-accord et anti-accord se par­lent et trou­vent une posi­tion com­mu­ne, d’autant que le 21 sep­tem­bre 2020, date de l’échéance de l’accord, appro­che.  S’il doit être renou­ve­lé, il fau­dra qu’il soit for­te­ment amé­lio­ré, en cor­ri­geant les dépha­sa­ges pré­sen­ts dans l’accord déjà signé en 2018.

  1. Comme je l’ai déjà dit pré­cé­dem­ment, l’accord – qui pré­voit que le Pape ait « le der­nier mot » sur les nomi­na­tions de tous les évê­ques – a un aspect posi­tif par­ce qu’il relie d’une cer­tai­ne maniè­re les nomi­na­tions des pré­la­ts chi­nois au pon­ti­fe romain. Et il s’agit d’un fait nou­veau qui n’existait pas du temps de Mao. Le dou­te n’en demeu­re pas moins que ce lien ne soit qu’une « béné­dic­tion » exté­rieu­re, par­ce qu’il n’est pas cer­tain que le Pape ait le droit de veto ni si ce droit est per­ma­nent ou seu­le­ment tem­po­rai­re.  Cela vau­drait aus­si la pei­ne d’expliquer pour­quoi il n’y a plus eu aucu­ne ordi­na­tion épi­sco­pa­le en Chine depuis la signa­tu­re de l’accord.  Les deux ordi­na­tions qui ont eu lieu en 2019 ava­ient en réa­li­té été déci­dées bien long­temps aupa­ra­vant et nous ne pou­vons pas men­tir – com­me l’a fait une cer­tai­ne pres­se soi-disant « pro-Bergoglio »  en – pré­ten­dant que celles-ci sera­ient « le fruit de l’accord ».  De ce point de vue, il faut dire que même si l’accord a un aspect posi­tif, il n’a jamais été mis en pra­ti­que.
  2. Le dédoua­ne­ment pour l’appartenance à une « Église indé­pen­dan­te », com­me le sug­gè­rent les « Orientations pasto­ra­les» aurait besoin d’une bon­ne mise au point. SI en effet, il est clair pour le Vatican qu’il n’e­st que­stion qu’une d’une « indé­pen­dan­ce » de type poli­ti­que, le Parti entre­tient l’ambigüité en con­ti­nuant à exi­ger une indé­pen­dan­ce tout court, sans distinc­tion.  C’est d’autant plus vrai que dans l’acte d’adhésion à l’« Église indé­pen­dan­te », on exi­ge des évê­ques et des prê­tres qu’ils ne puis­sent pas « con­tac­ter de puis­san­ces étran­gè­res, accueil­lir d’étrangers, accep­ter aucun délé­gué de com­mu­nau­tés ou d’institutions reli­gieu­ses étran­gè­res ».  De plus, dans le « paquet » de l’Église indé­pen­dan­te » on retrou­ve l’interdiction de « la for­ma­tion reli­gieu­se des mineurs » ain­si que l’interdiction de tou­te action reli­gieu­se en-dehors des limi­tes du lieu enre­gi­stré (pas d’onction dans les hôpi­taux ni de priè­res ou de béné­dic­tions à la mai­son…).  Il est préoc­cu­pant que des évê­ques et des prê­tres puis­sent accep­ter ce gen­re de cho­ses sans bron­cher.
  3. Il est évi­dent que la situa­tion de l’Église en Chine depuis l’accord a empi­ré: égli­ses fer­mées ou détrui­tes ; croix arra­chées des clo­chers ou des murs des égli­ses ; cou­po­les rasées au sol ; sta­tues ancien­nes con­fi­squées dans les égli­ses ; signes reli­gieux à la mai­son ou à l’extérieur effa­cés ; prê­tres chas­sés de leur mini­stè­re. Est-il pos­si­ble que l’église catho­li­que et le Vatican se tai­sent pen­dant que tant de frè­res et de sœurs subis­sent de pareil­les vio­len­ces ?  Dénoncer est sou­vent le seul moyen pour sau­ver nos frè­res et nos sœurs.J’ai un jour deman­dé à un mem­bre du Parti com­mu­ni­ste chi­nois pour­quoi ils déploya­ient autant de moyens pour con­trô­ler un grou­pe si réduit de catho­li­ques en Chine (moins de 1% de la popu­la­tion).  Il m’a répon­du : « Nous avons peur de votre uni­té ».  Quand nous nous tai­sons, quand nous nous divi­sons et que nous oppo­sons, nous fai­sons le jeu du « divi­ser pour mieux régner » du Parti.

 

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Date de publication: 3/03/2020