Quand François est son propre « spin doctor ». Ses dernières initiatives

En théo­rie, tous les médias du Vatican devra­ient tra­vail­ler main dans la main pour tran­smet­tre au grand public l’image fidè­le du Pape.

Mais en pra­ti­que, ce n’est pas le cas. La sal­le de pres­se du Vatican est pru­dem­ment restée à l’écart de l’instrumentalisation ratée d’une let­tre pri­vée de Benoît XVI.  Elle a lais­sé Mgr Dario Edoardo Viganò, le Préfet du Secrétariat pour la com­mu­ni­ca­tion, se débat­tre seul dans la tem­pê­te et ce der­nier n’a été sau­vé du nau­fra­ge que grâ­ce à la pro­tec­tion du pape qui ne tient déci­dé­ment pas à se pri­ver de son désa­streux « spin doc­tor ».

Le Pape, pré­ci­sé­ment. Parce que François lui-même fait sou­vent cava­lier seul en matiè­re de com­mu­ni­ca­tion publi­que, sans pren­dre la pei­ne de se con­cer­ter avec per­son­ne.  Et il s’y prend d’au moins trois maniè­res :

  • En disant lui-même ce qu’il veut en public, sans pas­ser par aucun con­trô­le ni aucu­ne véri­fi­ca­tion préa­la­ble ;
  • En fai­sant en sor­te que d’autres disent en public ce qu’il leur dit dans des entre­tiens pri­vés ;
  • En recom­man­dant d’écouter des per­son­nes qui disent ce que lui-même ne dit ni en public ni en pri­vé mais qu’il sou­hai­te enten­dre dire.

Ces der­niers jours, François a eu recours à l’ensemble de ces trois moda­li­tés de com­mu­ni­ca­tion. Avec des effe­ts diver­se­ment per­tur­ba­teurs.

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La pre­miè­re de ces moda­li­tés, il l’a uti­li­sée dans l’homé­lie de la mes­se du diman­che de Pâques. Il n’a lu aucun tex­te écrit, par­lant à bâtons rom­pu en ita­lien.  Et pour fai­re l’éloge des gran­des « sur­pri­ses » que Dieu fait, en par­ti­cu­lier l’annonce de la résur­rec­tion, voi­ci com­ment il s’est expri­mé : « Pour le dire un peu avec le lan­ga­ge des jeu­nes : la sur­pri­se [de Dieu] est un coup bas  »  (en ita­li­que dans la retran­scrip­tion offi­ciel­le de l’homélie).

Sauf que l’expression « coup bas » n’appartient pas au lan­ga­ge des jeu­nes mais à celui de la boxe. Il dési­gne un coup déco­ché sous le cein­tu­re : inter­dit, répré­hen­si­ble et qui peut valoir une disqua­li­fi­ca­tion.  Un coup vil, en traî­tre.  Une bien mau­vai­se ima­ge pour illu­strer l’annonce de la résur­rec­tion de Jésus au cours de l’homélie de Pâques pla­ce Saint-Pierre.  Il n’en reste pas moins que ce « coup bas » décrit par François a fait mou­che dans les médias.  En Italie, il fai­sait même les titres d’un impor­tant jour­nal télé­vi­sé du soir.

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La secon­de moda­li­té est cel­le adop­tée par François quand il a invi­té pour un entre­tien mar­di der­nier son ami Eugenio Scalfari, fon­da­teur du quo­ti­dien « la Repubblica » et figu­re emblé­ma­ti­que de l’intelligentsia laï­que ita­lien­ne.

Au cours de cet entre­tien, à l’instar des autres qu’il a déjà eu avec le Pape, Scalfari n’enregistre pas et ne prend pas de notes. Mais il en retran­scrit tou­jours le con­te­nu dans « la Repubblica », avec çà et là quel­ques omis­sions et quel­ques ajou­ts aux paro­les du pape « pour que le lec­teur com­pren­ne », com­me il l’a lui-même expli­qué dans une con­fé­ren­ce de pres­se après la publi­ca­tion du pre­mier compte-rendu.  Et cet­te fois, il a entre autre attri­bué à François l’affirmation sui­van­te :

« Les âmes qui se repen­tent obtien­nent le par­don de Dieu et rejoi­gnent les rangs des âmes qui le con­tem­plent, mais cel­les qui ne se repen­tent pas et ne peu­vent donc pas être par­don­nées dispa­rais­sent. L’enfer n’existe pas, ce qui exi­ste c’est la dispa­ri­tion des âmes péche­res­ses ».

Une véri­ta­ble bom­be. Le matin même, le « Times » de Londres titrait : « Le Pape François abo­lit l’enfer ».  D’autres jour­naux du mon­de entier lui emboi­tè­rent le pas.  Au point que dans l’après-midi, la sal­le de pres­se du Vatican a du se fen­dre d’un com­mu­ni­qué pour aver­tir que ce que rap­por­tait Scalfari « ne doit pas être con­si­dé­ré com­me une trans­crip­tion fidè­le des paro­les du Saint-Père ».

Un peu léger com­me démen­ti. Tant et si bien que « La Repubblica » ne l’a pas publié et que Scalfari ne l’a pas com­men­té.  Il s’est limi­té à con­fir­mer au « New York Times » qu’il ne s’agissait pas d’une inter­view mais d’une ren­con­tre, que « je peux fai­re des erreurs » mais que quoi qu’il en soit, pour autant qu’il s’en sou­vien­ne, le Pape lui a vrai­ment dit que l’enfer n’existait pas.

Et, de fait, à trois autres repri­ses déjà, à l’issue d’autant de trois autres entre­tiens, Scalfari avait rap­por­té que François lui avait dit que l’enfer n’existait pas et que les âmes mau­vai­ses n’étaient pas punies mais anéan­ties : le 21 sep­tem­bre 2014, le 15 mars 2015 et le 9 octo­bre 2017. Cette der­niè­re fois, le pape lui aurait éga­le­ment dit quel­que cho­se de plus, tou­jours en s’en tenant à ce qu’il rap­por­te : que non seu­le­ment l’enfer n’existerait pas mais que le pur­ga­toi­re et le para­dis n’existeraient pas non plus.

Après le pre­mier et le second des cinq entre­tiens entre Scalfari et le Pape, le Père Federico Lombardi, qui était à l’époque direc­teur de la sal­le de pres­se du Vatican, avait déjà aver­ti qu’il fal­lait pren­dre les décla­ra­tions que le célè­bre jour­na­li­ste attri­buait au Pape avec des pin­cet­tes. Par la sui­te, pour­tant, c’est un peu com­me si la sal­le de pres­se s’était avouée vain­cue et avait renon­cé à émet­tre ce gen­re de com­mu­ni­qués.  Si elle est de nou­veau inter­ve­nue aujourd’hui, c’est par­ce que l’affirmation de l’inexistence de l’enfer a été pour la pre­miè­re fois tex­tuel­le­ment mise dans la bou­che du Pape.

Les cho­ses étant ce qu’elles sont, il est hau­te­ment cré­di­ble que François ait vrai­ment dit de tel­les cho­ses à Scalfari, d’autant que ce der­nier les a rap­por­tées non pas une mais qua­tre fois de sui­te sans que le Pape n’ait jamais éprou­vé le besoin de cla­ri­fier quoi que ce soit au cours des ren­con­tres sui­van­tes avec son ami.

Aux Etats-Unis, le jésui­te Thomas Reese, ancien direc­teur d’« America » et jour­na­li­ste bien con­nu de « National Catholic Reporter » et de « Religion News Service » a cru pou­voir fai­re men­tir Scalfari en allant repê­cher une répon­se affir­ma­ti­ve de François à une jeu­ne fil­le scout d’une parois­se romai­ne qui lui deman­dait juste­ment le 8 mars 2015 si l’enfer exi­stait et pour­quoi.

Mais François est ain­si fait. Tantôt il dit que l’enfer exi­ste et tan­tôt il affir­mer qu’il a dit l’inverse.  Il est cou­tu­mier de cet­te façon de dire et de se con­tre­di­re sur les suje­ts les plus divers.  On se sou­vien­dra de sa répon­se mémo­ra­ble à la dame luthé­rien­ne qui lui deman­dait si elle et son mari catho­li­que pou­va­ient com­mu­nier ensem­ble à la mes­se.  Le Pape avait répon­du en lui disant tout et son con­trai­re : oui, non, fai­tes com­me vous vou­lez.

En outre, il ne faut pas négli­ger le fait que cet­te idée que l’enfer n’existerait pas cir­cu­le depuis long­temps dans l’Eglise, y com­pris au plus haut niveau. Le car­di­nal jésui­te Carlo Maria Martini, grand pré­cur­seur du pon­ti­fi­cat de Jorge Mario Bergoglio, écri­vait dans le livre qu’il a lais­sé en gui­se de testa­ment :

« Je nour­ris l’espoir que tôt ou tard, tout le mon­de soit rache­té… D’autre part, je n’arrive pas à ima­gi­ner com­me Hitler ou un assas­sin abu­seur d’enfants puis­se être pro­che de Dieu.  Mais il m’est plus faci­le de pen­ser que de tel­les per­son­nes soient tout sim­ple­ment anéan­ties ».

On peut éga­le­ment con­si­dé­rer que l’inter­view radio­pho­ni­que accor­dée le 3 avril à Crónica Anunciada/Radio Cut par la sœur argen­ti­ne Martha Pelloni, très impli­quée auprès des fem­mes pay­san­nes et can­di­da­te au prix Nobel pour la paix de 2005, pro­cè­de éga­le­ment de la secon­de moda­li­té de com­mu­ni­ca­tion.

En par­lant de la façon de pla­ni­fier les nais­san­ce en évi­tant de recou­rir à l’avortement, la sœur a décla­ré :

« A ce sujet, le Pape François m’a dit trois mots : ‘pre­ser­va­ti­vo, tran­si­to­rio y rever­si­ble’ », dési­gnant par là – a‑t-il tout de sui­te pré­ci­sé –par le second mot le « dia­ph­rag­me » et par le troi­siè­me la « liga­tu­re des trom­pes », ce que « nous, nous con­seil­lons aux fem­mes des champs ».

La sœur n’a pas dit com­ment ni quand François, qui la con­naît et l’apprécie depuis long­temps, lui a par­lé de la sor­te.

Le Pape ne s’est jamais expri­mé publi­que­ment de la maniè­re dont la sœur l’a fait. Mais sa volon­té de pas­ser outre la con­dam­na­tion des con­tra­cep­tifs for­mu­lée par Paul VI dans l’encyclique « Humanae vitae » est évi­den­te.

Et ce feu vert à l’usage des con­tra­cep­tifs en cas de néces­si­té, François l’avait déjà don­né pen­dant la con­fé­ren­ce de pres­se à bord du vol de retour du Mexique, le 17 février 2016.

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Enfin, la troi­siè­me moda­li­té de com­mu­ni­ca­tion chè­re à François a trou­vé com­me « par­te­nai­re » ces der­niers jours un moi­ne et psy­cho­lo­gue béné­dic­tin par­mi les plus con­nus et les plus lus au mon­de, l’allemand Anselm Grün.

Le 15 février der­nier, au cours d’une discus­sion à huis clos avec les prê­tres de Rome com­me il le fait cha­que année au début du Carême, le pape François leur a recom­man­dé de lire un livre de Grün – dont il est lui-même un lec­teur assi­du – en le décri­vant com­me « moder­ne » et « pro­che de nous ».

Or il se fait que Grün est celui qui, dans une inter­view au « Augsburger Allgemeine » du 30 mars der­nier, jour du Vendredi Saint, a décla­ré qu’« il n’y avait aucu­ne rai­son théo­lo­gi­que qui s’opposait à l’abolition du céli­bat du cler­gé ou aux fem­mes prê­tres, aux fem­mes évê­ques ou à une papes­se ». C’est un « pro­ces­sus histo­ri­que » qui « a besoin de temps » a‑t-il ajou­té, et « la pro­chai­ne éta­pe doit à pré­sent être l’ordination de fem­mes dia­co­nes­ses ».

L’ordination de fem­mes dia­cres figu­re déjà par­mi les objec­tifs à brè­ve échéan­ce de François, à l’instar de l’ordination au sacer­do­ce d’hom­mes mariés.

Quant aux éta­pes suc­ces­si­ves du « pro­ces­sus histo­ri­que » évo­qué par Grün, celui des fem­mes prê­tres, évê­ques et pape, François n’a pas enco­re pris posi­tion, ni en public ni en pri­vé.

Entretemps, il a recom­man­dé de prê­ter l’oreille à quelqu’un qui pré­sen­te tout cela com­me un but à attein­dre, sans se préoc­cu­per que ce soit en con­tra­dic­tion fla­gran­te avec le « non pos­su­mus » de tous les papes pré­cé­den­ts.

ERRATUM :
Correction par rap­port à ce qui pré­cè­de: le Pape François s’e­st pro­non­cé à au moins deux repri­ses sur l’or­di­na­tion des fem­mes au sacer­do­ce.

Lors de la con­fé­ren­ce de pres­se sur le vol de retour du Brésil le 28 juil­let 2016:

“Concernant l’or­di­na­tion des fem­mes, l’Eglise a par­lé et a répon­du: ‘Non’.  C’est Jean-Paul II qui l’a dit, de maniè­re défi­ni­ti­ve.  Cette porte-là est donc fer­mée”.

Et lors de la con­fé­ren­ce de pres­se sur le vol de retour de Suède, le 1 novem­bre 2016:

“Sur l’or­di­na­tion de fem­mes dans l’Eglise catho­li­que, la der­niè­re paro­le clai­re a été don­née par Saint Jean-Paul II, et celle-ci demeu­re”.

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A titre d’information, voi­ci les liens vers les comptes-rendus qu’Eugenio Scalfari a publié de ses entre­tiens avec le Pape François dans « La Repubblica ».

Ces entre­tiens sont au nom­bre de cinq mais Scalfari y a déjà fait réfé­ren­ce plus d’une foi. En outre, le pre­mier entre­tien est pré­cé­dé d’un échan­ge de mes­sa­ges entre Scalfari et le Pape.

7 août 2013
> Le doman­de di un non cre­den­te al papa gesui­ta chia­ma­to Francesco

11 sep­tem­bre 2013
> Papa Francesco scri­ve a Repubblica: “Dialogo aper­to con i non cre­den­ti”

1 octo­bre 2013
> Papa Francesco a Scalfari: Così cam­bie­rò la Chiesa

13 juil­let 2014
> Il papa: “Come Gesù use­rò il basto­ne con­tro i pre­ti pedo­fi­li”

21 sep­tem­bre 2014
> San Pietro era spo­sa­to ma seguì Gesù e lasciò a casa la moglie

15 mars 2015
> Quel che Francesco può dire all’Europa dei non cre­den­ti

11 novem­bre 2016
> Il Papa a Repubblica: “Trump? Non giu­di­co. Mi inte­res­sa sol­tan­to se fa sof­fri­re i pove­ri”

9 octo­bre 2017
> Scalfari inter­vi­sta Francesco: “Il mio gri­do al G20 sui migran­ti”

29 mars 2018
> Il papa: “È un ono­re esse­re chia­ma­to rivo­lu­zio­na­rio”

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

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Date de publication: 4/04/2018