« Oremus » pour la paix au Moyen-Orient. Mais pour l’Ukraine, c’est la guerre entre les orthodoxes

Le Pape François a invi­té les chefs des égli­ses du Moyen-Orient, catho­li­ques, ortho­do­xes et pro­te­stan­ts à une jour­née de priè­re com­mu­ne pour la paix dans cet­te région, le 7 juil­let à Bari.

Mais l’ombre d’un autre con­flit en Orient pla­ne sur ce som­met. Il s’agit du con­flit qui se joue en Ukraine et qui frac­tu­re le mon­de ortho­do­xe de maniè­re dra­ma­ti­que, avec d’un côté Bartholomée, le patriar­che œcu­mé­ni­que de Constantinople et de l’autre Cyrille, le patriar­che de Moscou « et de tou­tes les Russies ».

Bartholomée vien­dra à Bari. Mais pas Cyrille qui, lui, sera repré­sen­té par son respon­sa­ble des rela­tions exté­rieu­res, le métro­po­li­te Hilarion de Volokolamsk.  Ce der­nier vient il y a quel­ques jours de reje­ter pour l’énième fois avec la plus grand fer­me­té l’idée de créer une Église ortho­do­xe auto­no­me en Ukraine, allant jusqu’à dire que « le sang cou­le­ra » si jamais elle été légi­ti­mée et donc sou­strai­te à la juri­dic­tion du patriar­cat de Moscou. Et légi­ti­mée par qui ?  Précisément par le patriar­che de Constantinople, qui en aurait la facul­té puisqu’il est tra­di­tion­nel­le­ment le « pri­mus inter pares » par­mi tous les chefs de l’orthodoxie.

Il y a un mois, peu après la visi­te au Vatican du métro­po­li­te Hilarion, Settimo Cielo avait déjà four­ni les don­nées essen­tiel­les de la con­tro­ver­se qui, même si elle est avant tout inter­ne à l’orthodoxie, impli­que for­te­ment l’Église catho­li­que elle-même, sur­tout depuis que le Pape François ai lour­de­ment pris le par­ti de l’Église ortho­do­xe rus­se :

> En Ukraine, entre ortho­do­xes et catho­li­ques, François se ral­lie à Moscou

Les com­mu­nau­tés ortho­do­xes en Ukraine sont actuel­le­ment au nom­bre de trois. La seu­le à être cano­ni­que­ment recon­nue par tou­te l’orthodoxie, avec à sa tête le métro­po­li­te Onufry, est cel­le qui dépend du patriar­cat de Moscou.  Mais il y a éga­le­ment un patriar­cat indé­pen­dant créé et tou­jours diri­gé à l’heure actuel­le par un autre ex-hiérarque de l’Église rus­se, Philarète. Et il y a enfin une autre Eglise ortho­do­xe ukrai­nien­ne auto­pro­cla­mée, avec com­me métro­po­li­te Méthode.

Depuis un cer­tain temps, il y a en Ukraine une for­te volon­té de ras­sem­bler ces trois bran­ches en une uni­que Eglise ortho­do­xe ukrai­nien­ne auto­cé­pha­le qui serait non plus sous la hou­let­te de Moscou mais sous cel­le du patriar­che de Constantinople, Bartholomée.

Sur le ter­rain poli­ti­que, le gou­ver­ne­ment de Kiev sou­tient lui aus­si très acti­ve­ment l’idée de cet­te nou­vel­le Eglise ortho­do­xe auto­no­me. Tout com­me l’Eglise grecque-catholique ukrai­nien­ne, for­te de 4 mil­lions de fidè­les, et son arche­vê­que majeur Sviatoslav Chevtchouk, que le Pape a reçu en audien­ce il y a deux jours.

Mais l’un com­me l’autre de ces sou­tiens exter­nes ne font qu’accroître l’hostilité du patriar­cat de Moscou con­tre tou­te cet­te opé­ra­tion. On est au cou­rant de la guer­re russo-ukrainienne.  Quant aux grecs-catholiques, Hilarion a été jusqu’à les accu­ser de vou­loir pha­go­cy­ter la nou­vel­le struc­tu­re en la tran­sfor­mant d’orthodoxe en catho­li­que en vou­lant la pla­cer sous l’autorité du Pape de Rome.  Et François a pra­ti­que­ment don­né rai­son au puis­sant métro­po­li­te rus­se en le rece­vant au Vatican le 30 mai der­nier, si l’on s’en tient à la sévè­re répri­man­de adres­sée ce jour-là par le Pape aux catho­li­que ukrai­niens qui « s’immiscent dans les affai­res inter­nes de l’Église ortho­do­xe rus­se ».

Aussi bien Bartholomée qu’Hilarion sont en train de pas­ser le mon­de ortho­do­xe au pei­gne fin pour con­naî­tre la posi­tion de cha­que Eglise et les ral­lier à leur cau­se. Le 7 juil­let, tous deux se ver­ront à Bari et deux jours plus tard, le patriar­che de Constantinople sera à Moscou pour ce qui pour­rait bien être le face à face déci­sif avec Cyrille.

A l’heure actuel­le Bartholomée n’a tou­jours pas décou­vert son jeu, même s’il est évi­dent que lui et ses plus pro­ches col­la­bo­ra­teurs – avec en tête le métro­po­li­te Jean de Pergame, l’un des plus grands théo­lo­giens vivan­ts – ont la volon­té de voir naî­tre une Eglise ortho­do­xe ukrai­nien­ne uni­fiée et auto­no­me.

Le patriar­cat de Moscou n’a quant à lui jamais fait mystè­re de ses inten­tions. Il a déjà dit et répé­té de la maniè­re la plus dure son « non » à l’opération.  Et on peut com­pren­dre ses rai­sons.  L’Église ukrai­nien­ne sous la juri­dic­tion de Moscou comp­te un bon 40% des parois­ses du patriar­cat rus­se tout entier, soit 12.000 sur envi­ron 30.000. Les per­dre serait un dra­me pour Moscou.  Et si un autre mil­lier de parois­ses pro­ve­nant des deux autres Églises ukrai­nien­nes exi­stant actuel­le­ment venait s’y ajou­ter, la nou­vel­le Église ortho­do­xe uni­fiée devien­drait numé­ri­que­ment la deu­xiè­me Église ortho­do­xe au mon­de et serait à même de pou­voir riva­li­ser avec le patriar­cat de Moscou, qui est à l’heure actuel­le le pre­mier par nom­bre des fidè­les.

Et ce n’est pas tout. Il res­sort d’un un son­da­ge fia­ble que la créa­tion d’une Église ortho­do­xe uni­fiée et auto­no­me recueil­le l’opinion favo­ra­ble de 31,3% de la popu­la­tion tan­dis qu’il sont 19,8% à s’y oppo­ser, 34,7% a y être indif­fé­ren­ts et 14,2% à être sans opi­nion. Naturellement, avec des dif­fé­ren­ces d’une région à l’autre, avec le plus grand nom­bre d’opinions favo­ra­bles, soit 58%,  à l’Ouest et le plus grand nom­bre d’opposants, soit 28,2%, à l’Est.

Même chez les 85 évê­ques de l’Église ukrai­nien­ne qui dépen­dent du patriar­cat de Moscou, l’idée de se met­tre à leur comp­te fait son che­min. Leur posi­tion offi­ciel­le, adop­tée à l’unanimité le 25 juin der­nier, est que l’autocéphalie ne fait pas par­tie des objec­tifs actuels.  Mais tout de sui­te après, à Athènes, alors qu’il ren­dait une visi­te offi­ciel­le aux ortho­do­xes de Grèce, l’évêque Victor a pré­ci­sé que « l’Église ortho­do­xe ukrai­nien­ne ne s’oppose pas caté­go­ri­que­ment à l’idée de l’autocéphalie ».

Une auto­cé­pha­lie qui cor­re­spon­drait en fait à l’état d’origine de l’Église ortho­do­xe ukrai­nien­ne si l’on s’en tient à la recon­struc­tion histo­ri­que réa­li­sée par le métro­po­li­te Jean de Pergame, le « cer­veau » théo­lo­gi­que de Bartholomée, selon qui le pas­sa­ge de la métro­po­le de Kiev de la juri­dic­tion de Constantinople à cel­le de Moscou en 1685 n’aurait été qu’une mesu­re pro­vi­soi­re et révo­ca­ble.

Il est inu­ti­le d’ajouter que le patriar­cat de Moscou a réa­gi vio­lem­ment face à cet­te thè­se en affir­mant qu’elle était faus­se.

En plus de la paix au Moyen-Orient, à Bari il fau­drait peut-être priera-t-on discrè­te­ment pour davan­ta­ge de paix au sein de l’orthodoxie.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 5/07/2018