Le Pape François, l’euthanasie et l’exégèse de « La Civiltà Cattolica »

Ce 14 décem­bre, le jour même où le par­le­ment ita­lien approu­vait une loi sur le testa­ment bio­lo­gi­que qui ouvre la voie à l’euthanasie, « La Civiltà Cattolica » – la revue des jésui­tes de Rome dont les arti­cles sont vali­dés par le pape avant impres­sion – a publié un arti­cle impor­tant con­sa­cré juste­ment à ces « nou­veau­tés » intro­dui­tes par François sur « com­ment vivre la mort », des nou­veau­tés favo­ra­ble­ment accueil­lies com­me un « tour­nant » pro-euthanasie notam­ment et sur­tout par l’opinion publi­que laï­que :

> Vivere il mori­re con uma­ni­tà e soli­da­rie­tà

La nou­vel­le loi a été approu­vée par une lar­ge majo­ri­té de par­le­men­tai­res, y com­pris par un bon nom­bre de catho­li­ques. L’un d’entre eux, Mario Marazziti, une per­son­na­li­té de pre­mier plan de la Communauté Saint’Egidio et pré­si­dent de la com­mis­sion pour les affai­res socia­les de la cham­bre des repré­sen­tan­ts, en a com­men­té l’approbation par des juge­men­ts tous exclu­si­ve­ment posi­tifs sur les écrans de TV 2000, la chaî­ne de télé­vi­sion de la con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le ita­lien­ne.

Bien enten­du, les cri­ti­ques et les rési­stan­ces à cet­te loi dans cer­tains pans de l’Eglise et du mon­de poli­ti­que n’ont pas man­qué, aus­si bien avant qu’après son appro­ba­tion. L’ « objec­tion de con­scien­ce » d’un hôpi­tal catho­li­que à  Turin a fait grand bruit der­niè­re­ment.  L’hôpital Cottolengo a en effet refu­sé d’appliquer la loi à ses mala­des, avec le sou­tien immé­diat de l’archevêque de la vil­le, Cesare Nosiglia.  D’autres évê­ques ont éga­le­ment pro­te­sté.  Et le bruit court qu’en jan­vier, la con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le ita­lien­ne pour­rait leur emboî­ter le pas d’une façon plus coor­don­née.

Il faut cepen­dant con­sta­ter que pas un mot de cri­ti­que n’a été pro­non­cé depuis la chai­re de Pierre. L’après-midi du 14 décem­bre, quel­ques heu­res après l’approbation de la loi, « L’Osservatore Romano » a relayé l’information en quel­ques lignes pure­ment descrip­ti­ves, puis plus rien.

Ce n’est pas tout. Parmi les défen­seurs laïcs de la loi, cer­tains en ont même attri­bué le suc­cès au mes­sa­ge que le Pape François avait adres­sé à la mi-novembre – sa der­niè­re décla­ra­tions en la matiè­re – aux par­ti­ci­pan­ts d’un col­lo­que de la World Medical Association au Vatican sur le thè­me « Questions de fin de vie ».

Et c’est pré­ci­sé­ment ce discours de François que « La Civiltà Cattolica » a relayé le jour même de l’approbation de la loi, ren­fo­rçant par con­sé­quent l’idée que ce soit ce discours du pape à avoir don­né le feu vert à une tel­le loi.

L’auteur de l’article est un jésui­te de pre­mier plan, Carlo Casalone (pho­to), 61 ans, diplô­mé en méde­ci­ne avant de pour­sui­vre des étu­des en phi­lo­so­phie et en théo­lo­gie, pro­vin­cial d’Italie de la Compagnie de Jésus de 2008 à 2014, pro­fes­seur à la Faculté théo­lo­gi­que pon­ti­fi­ca­le de l’Italie méri­dio­na­le et expert en bio­é­thi­que.

Dans son mes­sa­ge à l’occasion du col­lo­que de la World Medical Association, François a même cité un loin­tain discours de Pie XII pour mon­trer la con­ti­nui­té du magi­stè­re de l’Eglise en matiè­re d’euthanasie.

Le P. Casalone sou­li­gne cepen­dant immé­dia­te­ment « com­ment le Pape François four­nit des pré­ci­sions et un éclai­ra­ge inno­van­ts ».

De Pie XII à aujourd’hui, en effet – fait-il remar­quer – beau­coup de cho­ses ont chan­gé dans la façon dont on meurt. Aujourd’hui, « tout com­me l’espérance de vie s’est allon­gée, il en est de même pour la durée de vie avec la mala­die.  Le dan­ger exi­ste de se con­cen­trer sur les fonc­tions vita­les à pro­lon­ger, en pour­sui­vant des objec­tifs par­tiels en per­dant de vue le bien inté­gral de la per­son­ne ».

Il s’agit du dan­ger de ce qu’on appel­le « l’acharnement thé­ra­peu­ti­que » que le P. Casalone pré­fè­re appe­ler « excès » ou « obsti­na­tion » cli­ni­que et qui con­si­ste à recou­rir à des « thé­ra­pies dispro­por­tion­nées », jugées tel­les aus­si bien par le méde­cin que sur­tout par le mala­de.

Le Catéchisme de l’Eglise catho­li­que au para­gra­phe 2278 – rap­pel­le le Jésuite –, affir­me que la ces­sa­tion de ces pro­cé­du­res médi­ca­les dispro­por­tion­nées « peut être légi­ti­me ». C’est aus­si ce que décla­re l’encyclique « Evangelium vitae » de Jean-Paul II.

Mais voi­ci la nou­veau­té que le P. Casalone met en lumiè­re.   Pour le Pape François, la ces­sa­tion de ces soins dispro­por­tion­nés n’est plus seu­le­ment facul­ta­ti­ve mais elle est « néces­sai­re », « obli­ga­toi­re ».

Après avoir soi­gneu­se­ment éva­lué tou­tes les « cir­con­stan­ces » et le « con­tex­te », c’est-à-dire les « res­sour­ces inté­rieu­res » du mala­de ain­si que « les valeurs sur l’état de san­té et les rela­tions fami­lia­les et socia­les », alors « on en vient à un impé­ra­tif con­cret final » qui – écrit le P. Casalone – est en lien « avec le patri­moi­ne com­mun et con­stant de la tra­di­tion mora­le catho­li­que sur le carac­tè­re impé­rieux du juge­ment de la con­scien­ce ».

En con­cluant son arti­cle, le Jésuite met en outre en évi­den­ce ce pas­sa­ge du discours du pape qui a lui a valu le plus de louan­ges de la part des auteurs de la loi approu­vée par le par­le­ment ita­lien.

Il s’agit du pas­sa­ge dans lequel « le Pape François a éga­le­ment une pen­sée pour la néces­sai­re média­tion qui, dans les socié­tés démo­cra­ti­ques, est atten­due pour par­ve­nir à des posi­tions par­ta­gées, y com­pris sur le plan nor­ma­tif, afin de pro­mou­voir le bien com­mun. Cela signi­fie d’une part recon­naî­tre les dif­fé­ren­ces légi­ti­mes et d’autre part ne pas éro­der le noyau de valeurs qui garan­tit le vivre-ensemble en socié­té en se basant sur la recon­nais­san­ce réci­pro­que en tant qu’égaux de tous ceux qui en font par­tie. »

Interrogé quel­ques heu­res après l’approbation de la loi par le prin­ci­pal quo­ti­dien laï­que ita­lien, « La Repubblica », le car­di­nal Camillo Ruini a qua­li­fié d’« exa­gé­ra­tion » le fait d’interpréter les mots de François com­me un « assen­ti­ment » à une loi « qui ouvre la por­te à l’euthanasie sans la nom­mer. »

Mais l’exégèse qu’en a fait « La Civiltà Cattolica » et sur­tout la chro­no­lo­gie et le con­tex­te de sa publi­ca­tion font le jeu des défen­seurs laïcs de l’euthanasie. Qui se font con­cur­ren­ce pour remer­cier, à leur maniè­re, le Pape François.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

 

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Date de publication: 21/12/2017