La synodalité part en fumée. Exercices de monarchie pontificale sur les États-Unis et sur la Chine

Nous som­mes très loin d’une Église syno­da­le. Après avoir fait l’élo­ge de la « syno­da­li­té » qui aurait été le prin­ci­pal fruit du syno­de des évê­ques d’octobre der­nier et après avoir pro­mis depuis 2013 plus d’autonomie et de pou­voir aux con­fé­ren­ces épi­sco­pa­les, y com­pris une « cer­tai­ne auto­ri­té doc­tri­na­le authen­ti­que », le Pape François vient de déca­pi­ter l’ordre du jour de l’assemblée plé­niè­re de l’une des plus gran­des con­fé­ren­ces épi­sco­pa­les du mon­de, cel­le des États-Unis, qui est réu­nie à Baltimore depuis le lun­di 12 novem­bre.

Dans la même fou­lée, en Chine, il vient d’abandonner à leur sort les évê­ques qui n’entrent pas dans l’accord secret signé fin sep­tem­bre entre le Saint-Siège et les auto­ri­tés de Pékin, c’est-à-dire la tren­tai­ne d’évêques dits « sou­ter­rains » ou clan­de­stins qui rési­stent cou­ra­geu­se­ment à l’oppression de l’Église par le régi­me.  Au Vatican, on nie que ce soit l’intention du Pape.  Mais n’en reste pas moins que les évê­ques chi­nois clan­de­stins se sen­tent aban­don­nés par le Pape, com­me en témoi­gne le car­di­nal Zen Ze-Kiun dans une lettre-appel à cœur ouvert qu’il a remi­se per­son­nel­le­ment entre les mains de François un matin au début de ce mois de novem­bre.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
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En effet, le Pape François a agi en monar­que abso­lu envers les évê­ques des États-Unis. Samedi 10 novem­bre il a reçu en audien­ce à Rome le Préfet de la Congrégation pour les évê­ques, le car­di­nal Marc Ouellet, ain­si que le non­ce aux États-Unis, Christophe Pierre, et il a char­gé le pre­mier de tran­smet­tre au car­di­nal Daniel N. DiNardo, le pré­si­dent des évê­ques amé­ri­cains, l’interdiction de voter sur deux poin­ts cru­ciaux de l’ordre du jour de l’assemblée con­cer­nant le scan­da­le des abus sexuels : un « code de con­dui­te » extrê­me­ment sévè­re pour les évê­ques et la créa­tion d’un orga­ni­sme com­po­sé de laïcs pour enquê­ter sur les évê­ques incri­mi­nés.

En anno­nçant, la dou­ble inter­dic­tion du Pape, le car­di­nal DiNardo, assez mal à l’aise, a expli­qué que François exi­geait que les évê­ques amé­ri­cains n’aillent pas au-delà de ce que le droit canon pré­voit déjà en la matiè­re et sur­tout qu’ils n’anticipent pas les déci­sions qui seront pri­ses à Rome lors de la réu­nion des pré­si­den­ts des con­fé­ren­ces épi­sco­pa­les du mon­de entier con­vo­quée par le Pape du 21 au 24 février pro­chain.

Le « dik­tat » de François a susci­té des réac­tions très néga­ti­ves aux États-Unis, y com­pris chez ceux qui ont cher­ché d’en com­pren­dre les rai­sons.

Dans le cas des évê­ques chi­nois, ce qui est le plus frap­pant en revan­che, c’est l’impressionnant silen­ce qui accom­pa­gne leur che­min de croix, de la part des plus hau­ts respon­sa­bles de l’Eglise. Un silen­ce non seu­le­ment public, com­me la pru­den­ce pour­rait l’expliquer, mais sur­tout dépour­vu de tout geste de pro­xi­mi­té ou de sou­tien qui pour­rait s’exprimer de maniè­re réser­vée.  Tout cela dans le silen­ce non moins assour­dis­sant de nom­breux médias catho­li­ques, en par­ti­cu­lier de ceux qui sont les plus pro­ches du Pape François.

C’est ce que dénon­ce le P. Bernardo Cervellera, de l’Institut Pontifical des Missions Étrangères qui diri­ge l’agence « Asia News », dans l’éditorial que nous repro­dui­sons ci-dessous qui s’offusque de l’énième arre­sta­tion ces der­niers jours de l’un des évê­ques qui a été le plus héroï­que dans son refus de se sou­met­tre au régi­me com­mu­ni­ste chi­nois.

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La honte envers Mgr Shao Zhumin, évêque séquestré par la police

par Bernardo Cervellera

Il fal­lait s’y atten­dre. L’information de l’énième arre­sta­tion – la cin­quiè­me en deux ans – de Mgr Pietro Shao Zhumin, l’évêque de Wenzhou, a été pas­sée sous silen­ce.  Mis à part pour cer­tains médias espa­gnols et anglais et quel­ques rare sites ita­liens autres qu’Asia News, il sem­ble­rait que le fait de fai­re subir des dizai­nes de jour­nées d’endoctrinement, com­me à l’époque de la Révolution cul­tu­rel­le, à un évê­que dont la droi­tu­re et le cou­ra­ge sont très con­nus en Chine ne con­sti­tue pas une infor­ma­tion digne d’intérêt mais plu­tôt quel­que cho­se de gênant qu’il vaut mieux tai­re.

Je me deman­de ce qui se serait pas­sé si un bra­ve évê­que ita­lien, disons par exem­ple le sym­pa­thi­que Mgr Matteo Zuppi de Bologne, était enle­vé par un grou­pe de fon­da­men­ta­li­stes musul­mans pour l’endoctriner et le con­ver­tir à l’Islam, entendons-nous bien sans lever la main sur lui, com­me c’est le cas pour Mgr Shao. J’imagine que tous les jour­naux du mon­de en fera­ient leurs gros titres.  Dans le cas de l’évêque de Wenzhou, il ne s’agit pas de fon­da­men­ta­li­stes musul­mans mais bien de fon­da­men­ta­li­stes « de l’indépendance » : ils veu­lent con­vain­cre cet évê­que qu’appartenir à l’Association patrio­ti­que, qui a pour but de con­strui­re une Église « indé­pen­dan­te » du Saint-Siège, serait une bon­ne cho­se pour lui, pour l’Église et pour le mon­de.

Du point de vue dog­ma­ti­que, les décla­ra­tions de Benoît XVI dans sa Lettre aux catho­li­ques chi­nois restent en vigueur, c’est-à-dire que l’appartenance à l’Association patrio­ti­que est « incon­ci­lia­ble avec la doc­tri­ne catho­li­que ». Et à plu­sieurs repri­se par le pas­sé, le pape François a dit que cet­te Lettre de Benoît XVI « est enco­re vali­de ».

D’autant que l’appartenance à l’AP est très con­trai­gnan­te pour la vie d’un évê­que : con­trô­les 24h/24, véri­fi­ca­tions et deman­des de per­mis pour les visi­tes pasto­ra­les et pour rece­voir des invi­tés, réqui­si­tions pen­dant des semai­nes et des mois pour par­ti­ci­per à des con­fé­ren­ces d’endoctrinement sur la géné­ro­si­té de la poli­ti­que reli­gieu­se de Pékin.

Je crois que le silen­ce des médias – et en par­ti­cu­lier des médias catho­li­ques – est sur­tout cau­sé par la hon­te. Il y a quel­ques mois, le 22 sep­tem­bre, ils ont tous fait l’éloge de l’accord entre la Chine et le Saint-Siège à un point tel qu’ils ont lais­sé croi­re que tout allait à pré­sent aller pour le mieux.  En revan­che, admet­tre que l’Église est enco­re vic­ti­me de nom­breux pro­blè­mes de per­sé­cu­tions en Chine con­sti­tue un désa­veu qu’il est dif­fi­ci­le d’admettre, on peut aisé­ment le com­pren­dre.

Si l’on ajou­te ensui­te à l’arrestation de cet évê­que les égli­ses fer­mées et pla­cées sous scel­lés, les croix détrui­tes, les dômes rasés au sol, les sanc­tuai­res démo­lis, l’interdiction impo­sée par la poli­ce au moins de 18 ans de se ren­dre à l’église ou d’assister au caté­chi­sme, on se rend bien comp­te à quel point l’accord sur la nomi­na­tion des évê­ques – com­me nous l’avons dit par le pas­sé – est bon dans la mesu­re où il évi­te l’apparition d’évêques schi­sma­ti­ques mais com­bien il lais­se inchan­gée une situa­tion dans laquel­le l’AP et le Front Uni se con­si­dè­rent com­me étant les véri­ta­bles chefs de l’Église en Chine (et non le pape). Cela est à nou­veau con­fir­mé par la leçon que ces deux orga­nes sont en train de fai­re à des prê­tres et à des évê­ques dans de nom­breu­ses régions de Chine en leur répé­tant que « mal­gré l’accord entre la Chine et le Vatican », l’Église doit con­ti­nuer à être « indé­pen­dan­te » du pape et du Saint-Siège.

Malheureusement, le fait que cet accord « pro­vi­soi­re », demeu­re secret et n’ait jamais été publié per­met à la Chine d’en don­ner sa pro­pre inter­pré­ta­tion. Le Front Uni et l’AP con­trai­gnent des prê­tres et des évê­ques à s’inscrire à l’Église « indé­pen­dan­te » en pré­ten­dant que « le pape est d’accord avec nous , au point que plu­sieurs catho­li­ques sou­ter­rains sou­pçon­nent avec amer­tu­me que le Vatican les ait aban­don­nés dans la tour­men­te.

Quelques soi-disant « experts » de la Chine ten­tent de mini­mi­ser les per­sé­cu­tions en pré­ten­dant qu’elles ne con­cer­ne­ra­ient que « quel­ques endroi­ts ». En réa­li­té, on signa­le des per­sé­cu­tions dans de nom­breu­ses régions : Hebei, Henan, Zehejiang, Shanxi, Guizhou, la Mongolie inté­rieu­re, Xinjiang, Hubei…  Sans comp­ter les autres endroi­ts qui n’ont pas été en mesu­re de relayer l’information.

Une autre infor­ma­tion réduc­tri­ce con­si­ste à fai­re croi­re que ces cho­ses se pas­se­ra­ient en péri­phé­rie mais qu’au cen­tre, à Pékin, on vou­drait vrai­ment que l’accord fonc­tion­ne. Il n’en reste pas moins qu’en octo­bre der­nier, depuis le con­grès du par­ti com­mu­ni­ste, le Front Uni et l’AP se trou­vent sous le con­trô­le direct du par­ti : il est pra­ti­que­ment impos­si­ble que le cen­tre – à com­men­cer par Xi Jinping, le secré­tai­re géné­ral du par­ti – ne soit pas au cou­rant de ce qui se pas­se en péri­phé­rie, avec des affai­res aus­si scan­da­leu­ses qu’elles secouent la com­mu­nau­té inter­na­tio­na­le.

Mais en plus de la hon­te, je crois qu’il y a deux autres expli­ca­tions à ce silen­ce.

Le pre­mier est une espè­ce de « com­ple­xe patrio­ti­que » : étant don­né que le pape François sou­tient l’accord avec la Chine et qu’il est un fer­vent par­ti­san du dia­lo­gue avec la cul­tu­re chi­noi­se, il sem­ble­rait que met­tre en avant les per­sé­cu­tions con­sti­tue une offen­se au pape. Mis à part le fait que le pape François a tou­jours lui-même sou­li­gné qu’il pré­fé­rait la fran­chi­se à l’adulation, il a tou­jours dit que le dia­lo­gue se dérou­le entre deux iden­ti­tés, sans dis­si­mu­ler sa pro­pre iden­ti­té.  Et si celle-ci est fai­te de mar­tyrs, on ne peut pas le cacher.  […]

La secon­de rai­son pour­rait sur­tout con­cer­ner les médias soi-disant laïcs, à cau­se d’un « com­ple­xe mer­ca­to­lâ­tre » de divi­ni­sa­tion du mar­ché chi­nois. On pas­se sous silen­ce les per­sé­cu­tions et les arre­sta­tions par­ce qu’elles sont bien peu de cho­ses par rap­port à la guer­re des droi­ts de doua­ne entre la Chine et les États-Unis et par rap­port au futur de la super­puis­san­ce de l’Empire du Milieu.  Les médias et les librai­ries sont rem­plies d’articles et de livres qui encen­sent Pékin, ou qui le descen­dent en flam­me, selon qu’ils pren­nent par­ti pour la Chine ou pour les États-Unis.  Dans ce cas, on ne se rend pas comp­te com­bien la liber­té reli­gieu­se d’un pays un est indi­ca­teur de sa « bon­té ».  C’est juste­ment le pape François qui rap­pe­lait le 5 novem­bre der­nier dans un allo­cu­tion au World Congress of Montain Jews que « la liber­té reli­gieu­se est un bien pré­cieux à con­ser­ver, un droit humain fon­da­men­tal, un bastion con­tre les reven­di­ca­tions tota­li­tai­res ».  C’est pour­quoi, ceux qui veu­lent une véri­ta­ble liber­té de com­mer­ce avec la Chine devra­ient avant tout défen­dre la liber­té reli­gieu­se.  Les dif­fé­ren­ts grands entre­pre­neurs chi­nois en savent quel­que cho­se, eux qui doi­vent se plier aux restric­tions du gou­ver­ne­ment cen­tral s’ils veu­lent fai­re du com­mer­ce et inve­stir à l’étranger.  Mgr Shao Zhumin n’est donc pas « bien peu de cho­ses » mais un symp­tô­me du che­min que la Chine est en train de pren­dre.

Cela vaut la pei­ne de rap­pe­ler une der­niè­re cho­se : Mgr Shao Zhumin est évê­que d’une Église désor­mais uni­fiée où il n’y a plus de divi­sion entre catho­li­ques offi­ciels et sou­ter­rains, juste­ment cel­le qu’appelait de ses vœux le pape François dans son Message aux Catholiques chi­nois et à l’Église uni­ver­sel­le qui a été publié quel­ques jours après l’accord.  Et pour­tant, l’Association patrio­ti­que, non con­ten­te d’avoir séque­stré cet évê­que, vient ces der­niers jours d’interdire aux prê­tres « offi­ciels » d’aller se recueil­lir sur les tom­bes des prê­tres et des évê­ques « sou­ter­rains ».  Voilà la pre­u­ve que la divi­sion de l’Église chi­noi­se n’est pas vou­lue par les catho­li­ques mais bien par le par­ti com­mu­ni­ste.  Cette poli­ti­que, qui dure depuis 60 ans, ne nous sem­ble pas être en faveur de l’évangélisation de la Chine mais – com­me l’Association patrio­ti­que l’a décla­rée à de nom­breu­ses repri­ses par le pas­sé – con­sti­tue un pas vers la sup­pres­sion de tous les chré­tiens.

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Date de publication: 15/11/2018