La dernière de Sainte-Marthe: il y a un complot des USA contre l’accord entre Rome et Pékin

Settimo Cielo a don­né le 7 mai der­nier l’information que la répres­sion anti­ca­tho­li­que s’intensifiait dans le Henan, cet­te pro­vin­ce très peu­plée située à mi-chemin entre Pékin et Shanghai et tra­di­tion­nel­le­ment con­si­dé­rée com­me étant le ber­ceau de la civi­li­sa­tion chi­noi­se.

Pourtant, une dizai­ne de jours plus tard, le site Vatican Insider, notoi­re­ment pro­che du pape François, publiait sous la plu­me de Gianni Valente un arti­cle réfu­tant la crain­te que l’Église catho­li­que soit dans la ligne de mire des auto­ri­tés chi­noi­ses et que la répres­sion anti­ca­tho­li­que puis­se, depuis le Henan, s’étendre à tou­te la Chine :

> Cina, lo “stra­no caso” del­le chie­se dell’Henan chiu­se ai bam­bi­ni

Aux dires de Valente, l’intention des auto­ri­tés chi­noi­se serait prin­ci­pa­le­ment d’en­di­guer dans cet­te pro­vin­ce la pro­li­fé­ra­tion d’« Églises dome­sti­ques » pro­te­stan­tes et de sec­tes à carac­tè­re apo­ca­lyp­ti­que sou­te­nues par la droi­te reli­gieu­se des Etats-Unis dans le but de sub­ver­tir le régi­me chi­nois.

Donc, la répres­sion qui frap­pe éga­le­ment les com­mu­nau­tés catho­li­ques dans le Henan ne sera­ient qu’un effet col­la­té­ral de ce tour de vis géné­ra­li­sé et justi­fié.

En revan­che – et c’est ain­si que Valente con­clut son argu­men­ta­tion – la reli­gion catho­li­que serait une bar­riè­re effi­ca­ce con­tre ces sec­tes sub­ver­si­ves qui se répan­dent. Et un accord entre le Vatican et Pékin serait éga­le­ment béné­fi­que aux inté­rê­ts du régi­me chi­nois.

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Le 22 mai pour­tant, l’article de Valente a été sévè­re­ment cri­ti­qué par l’un des plus grands spé­cia­li­stes mon­diaux des Églises pro­te­stan­tes et des nou­veaux mou­ve­men­ts reli­gieux chré­tiens, le pro­fes­seur Massimo Introvigne.

C’est d’ailleurs pour four­nir une infor­ma­tion per­ma­nen­te et véri­di­que sur la pré­sen­ce crois­san­te de ces réa­li­tés en Chine qu’Introvigne a créé au début de ce mois de mai un site web en anglais, chi­nois et coréen expres­sé­ment dédié à cet objec­tif, inti­tu­lé « Bitter Winter », hiver gla­cial.

La cri­ti­que d’Introvigne vise sur­tout sur les sour­ces – rares, ancien­nes et truf­fées d’erreurs – uti­li­sées par Valente pour décri­re la pré­sen­ce des sec­tes chré­tien­nes dans le Henan.

Mais il con­te­ste sur­tout la théo­rie que Valente uti­li­se pour justi­fier le com­por­te­ment des auto­ri­tés chi­noi­ses, une théo­rie du com­plot qui sem­ble aujourd’hui appli­quer à la Chine les théo­ries fan­ta­sques qui ava­ient cours il y a des décen­nies en Amérique lati­ne où la dif­fu­sion des mou­ve­men­ts néo-pentecôtistes et évan­gé­li­ques, aux dépens de l’Église catho­li­que, était accu­sée d’être pro­dui­te et finan­cée par l’impérialisme amé­ri­cain.

Voici ci-dessous la secon­de par­tie de l’article d’Introvigne. Mais il est bon de le lire dans son inté­gra­li­té :

> Who Is Afraid of Bitter Winter?

Parmi les mou­ve­men­ts d’inspiration chré­tien­ne pré­sen­ts en Chine qu’Introvigne cite dans son arti­cle, il y en a un en par­ti­cu­lier, l’Église du Dieu Tout-Puissant, sur lequel il a récem­ment publié un dos­sier très bien docu­men­té :

> The Case of The Church of Almighty God

En plus d’être le fon­da­teur et le direc­teur du site « Bitter Winter », Introvigne est le direc­teur du Center for Studies on New Religions dont le siè­ge est à Turin.

À pro­po­se de Gianni Valente, il est bon de signa­ler qu’il est ami avec Jorge Bergoglio depuis bien avant son élec­tion com­me pape, tel­le­ment ami que soir même de son élec­tion, le 13 mars 2013, le Pape Bergoglio lui a télé­pho­né chez lui à Rome pour le saluer et c’est son épou­se Stefania Falasca, jour­na­li­ste du quo­ti­dien de la Conférence épi­sco­pa­le ita­lien­ne « Avvenire », qui a lui a répon­du. La nou­vel­le de ce coup de télé­pho­ne avait immé­dia­te­ment fait le tour du mon­de.

Le 22 mai – le jour même où Introvigne répon­dait à son arti­cle sur les mesu­res anti­re­li­gieu­ses dans le Henan – Valente publiait dans Vatican Insider un com­men­tai­re sur la visi­te « ad limi­na » des évê­ques de Taïwan qui avait eu lieu quel­ques jours aupa­ra­vant.

> La “mis­sion” (tut­ta poli­ti­ca) dei vesco­vi tai­wa­ne­si in Vaticano

Ce com­men­tai­re est très cri­ti­que de la ligne adop­tée par les évê­ques taï­wa­nais. Une ligne, aux dires de Valente, qui serait non seu­le­ment « poli­ti­cien­ne » mais éga­le­ment anti-papale, il en veut pour pre­u­ve ces décla­ra­tions de l’archevêque de Taipei à pro­pos d’un hypo­thé­ti­que accord entre François et la Chine con­ti­nen­ta­le : « Si les fidè­les ont le sen­ti­ment que le pape veut rom­pre les rela­tions diplo­ma­ti­ques avec nous, alors nous com­me­nçons à voir dimi­nuer l’estime envers lui et ils disent : com­ment est-ce pos­si­ble d’avoir un Pape pareil,  qui veut nous aban­don­ner ? ».

Mais reve­nons à l’article du pro­fes­seur Introvigne. En voi­ci les pas­sa­ges qui con­cer­nent plus direc­te­ment l’Église catho­li­que.

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La « théorie Rockefeller » ne s’applique pas non plus à la Chine

par Massimo Introvigne

Je vou­drais tout d’abord cla­ri­fier que je con­si­dè­re « Vatican Insider », le sup­plé­ment reli­gieux du quo­ti­dien ita­lien « La Stampa » com­me l’une des meil­leu­res sour­ces d’information sur l’Église catho­li­que dans le mon­de. Cependant, un arti­cle de Gianni Valente a pris une tou­te autre direc­tion.

Valente est un ami per­son­nel du Pape actuel, c’est un jour­na­li­ste respec­té dans plu­sieurs domai­nes. […] Mais le but prin­ci­pal de son arti­cle est […] d’attaquer des infor­ma­tions régu­liè­res « rap­por­tées par des témoins locaux –  sou­vent ano­ny­mes –  » de har­cè­le­ment des catho­li­ques dans la pro­vin­ce de Henan de la part de la poli­ce et du Parti Communiste Chinois (PCC).

Valente ne men­tion­ne pas expli­ci­te­ment « Bitter Winter » mais nous fai­sons par­tie des rares (avec « China Aid » et « Asia News ») qui ont publié des nou­vel­les quo­ti­dien­nes de Henan au sujet des atta­ques con­tre des égli­ses catho­li­ques et les con­gré­ga­tions là-bas. Ces infor­ma­tions éta­ient bien sûr ano­ny­mes : les cou­ra­geux obser­va­teurs qui nous infor­ment de ce qui se pas­se (et pren­nent des pho­tos que nous publions) risquent la pri­son ou pire enco­re.

Peut-être, com­me Valente le sug­gè­re, ces rap­ports sont-ils avé­rés mais faut-il con­si­dé­rer la situa­tion par­ti­cu­liè­re de Henan où les Églises de mai­son et les « cul­tes » com­me l’Église du Dieu Tout-Puissant, qui selon lui sera­ient finan­cés et peut-être créés par des néo-conservateurs amé­ri­cains — si pas direc­te­ment par la CIA – con­spi­re­ra­ient pour ren­ver­ser le régi­me com­mu­ni­ste.

Toute ten­ta­ti­ve visant à ren­dre la Chine plus démo­cra­ti­que serait la bien­ve­nue et il fau­drait en féli­ci­ter la CIA mais cet­te idée que les insti­tu­tions amé­ri­cai­nes finan­ce­ra­ient l’Église du Dieu Tout-Puissant est ridi­cu­le, même s’il est à la fois vrai et peu sur­pre­nant que les Évangéliques amé­ri­cains (qui n’appartiennent bien sûr pas à la CIA) sou­tien­nent cer­tai­nes égli­ses chi­noi­ses évan­gé­li­ques. Les Églises de mai­son les plus impor­tan­tes sont cepen­dant des créa­tions chi­noi­ses authen­ti­ques et ori­gi­na­les.

Valente appli­que à la Chine la « théo­rie Rockefeller », une thè­se du com­plot qui était popu­lai­re dans l’Amérique lati­ne du ving­tiè­me siè­cle. Dans cer­tains pays d’Amérique lati­ne, l’Église catho­li­que était poli­ti­que­ment libé­ra­le tan­dis que cer­tains théo­lo­giens de la libé­ra­tion éta­ient ouver­te­ment mar­xi­stes.  Mécontents de ces posi­tions, de nom­breux catho­li­ques ont cla­qué la por­te pour rejoin­dre les Églises pen­te­cô­ti­stes qui éta­ient en plein essor.  Mais les théo­lo­giens de la libé­ra­tion pré­ten­da­ient que si les pen­te­cô­ti­stes ava­ient autant de suc­cès, c’est par­ce qu’ils éta­ient finan­cés par la Fondation Rockefeller et d’autres orga­ni­smes de l’impérialisme amé­ri­cain.  Cette théo­rie a long­temps susci­té la moque­rie des uni­ver­si­tai­res pen­te­cô­ti­stes d’Amérique lati­ne.  Finalement, vers la fin du 20e siè­cle, des voix se sont éle­vées jusque dans les rangs des théo­lo­giens de la libé­ra­tion pour fina­le­ment admet­tre que cet­te ana­ly­se était erro­née et que les grou­pes pen­te­cô­ti­stes les plus impor­tan­ts d’Amérique lati­ne éta­ient en fait indi­gè­nes, qu’ils n’étaient pas finan­cés de façon signi­fi­ca­ti­ve par des agen­ces amé­ri­cai­nes et que cer­tains d’entre eux éta­ient en fait anti-américains.

Valente res­sort aujourd’hui cet­te thè­se far­fe­lue de la « théo­rie Rockefeller » pour l’appliquer à la Chine sous la for­me d’une curieu­se théo­rie du com­plot. Valente est en jour­na­li­ste intel­li­gent et ce n’est donc pas un hasard.  Comme le Père Bernardo Cervellera, le meil­leur expert catho­li­que de la Chine, expli­quait dans une inter­view à « Bitter Winter », qui a d’ailleurs pro­ba­ble­ment ennuyé Valente, il y a au sein de l’Église catho­li­que une fac­tion qui mili­te pour un accord rapi­de avec le PCC.  A un cer­tain point, expli­que Cervellera, cet­te fac­tion a com­men­cé à répan­dre des faus­ses infor­ma­tions au sujet d’une signa­tu­re immi­nen­te d’un accord pour met­tre la pres­sion sur le PCC et vain­cre les rési­stan­ces qui exi­stent éga­le­ment au sein du Parti.  Or le PCC est très atten­tif à son ima­ge à l’étranger.  Ses ten­ta­ti­ves d’acheter des uni­ver­si­tai­res pour sou­te­nir sa per­sé­cu­tion des Églises de mai­son et du « xie­jiao » (« ensei­gne­ment hété­ro­do­xes » : la tra­duc­tion « sec­tes démo­nia­ques » est erro­née) ont échoué.  Maintenant, Valente dit à Pékin que, si l’accord était signé, le pro­blè­me de rela­tions publi­ques serait réglé.  Des jour­na­li­stes en lien avec le Vatican sera­ient prêt à justi­fier la per­sé­cu­tion en pré­ten­dant que les per­sé­cu­tés sont en fait des agen­ts de l’impérialisme amé­ri­cain.

Naturellement, cela va à l’encontre des ensei­gne­men­ts de Vatican II et de l’ami per­son­nel de Valente, le Pape François, selon lesquels la liber­té reli­gieu­se est indi­vi­si­ble et qui inci­te les catho­li­ques à se mobi­li­ser lor­sque la liber­té de n’importe quel­le reli­gion est mena­cée, et pas seu­le­ment la leur. Il est pos­si­ble qu’autrefois, Paris valait bien une mes­se mais Pékin ne vaut pas que l’on tra­his­se des mil­lions de chré­tiens arrê­tés, tor­tu­rés et mis à mort.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 29/05/2018