Frères ennemis. L’œcuménisme à haut risque du Pape François. Avec un post-scriptum

Sur le ter­rain œcu­mé­ni­que aus­si, le Pape François emprun­te de nou­veaux che­mins

Aucun pape avant lui n’aurait nom­mé un pro­te­stant direc­teur de « L’Osservatore Romano ».  Mais lui, il l’a fait, en nom­mant direc­teur de l’édition argen­ti­ne du jour­nal offi­ciel du Saint-Siège le pre­sby­té­rien Marcelo Figueroa, son ami de lon­gue date.

Aucun pape n’avait jamais pu orga­ni­ser une ren­con­tre avec le patriar­che ortho­do­xe de Moscou. Mais lui y est par­ve­nu, en lui don­nant rendez-vous à l’aéro­port de La Havane.

En ce qui con­cer­ne le dia­lo­gue avec les non-catholiques, Jorge Mario Bergoglio ne négli­ge vrai­ment per­son­ne. Il accueil­le avec le sou­ri­re même les inter­lo­cu­teurs les plus dif­fi­ci­les com­me ces cou­ran­ts évan­gé­li­ques et pen­te­cô­ti­stes qui font des rava­ges dans les rangs des catho­li­ques chez lui en Amérique lati­ne.

Son ami Figueroa, de sou­che cal­vi­ni­ste, vient de signer dans le der­nier numé­ro de « La Civiltà Cattolica » une atta­que fron­ta­le con­tre la soi-disant « théo­lo­gie de la pro­spé­ri­té » pro­fes­sée par un cou­rant pen­te­cô­ti­ste né aux États-Unis et qui est en train de se répan­dre dans le Sud du con­ti­nent selon lequel la pau­vre­té serait cou­pa­ble alors que la vra­ie foi per­met de vivre riche, en bon­ne san­té et heu­reux.

Pourtant, un lea­der de cet­te théo­lo­gie, le pasteur texan Kenneth Copeland a été l’invi­té de mar­que du Pape au Vatican.  Et le Pape François décla­ré à une occa­sion, au cours d’une con­ver­sa­tion : «  Dieu est avec nous où que nous allions.  Pas par­ce que je suis catho­li­que, ni par­ce que je suis luthé­rien, ni par­ce que je suis ortho­do­xe », car si tel était le cas, a‑t-il ajou­té, nous serions dans un « asi­le théo­lo­gi­que ».

Dans le bul­le­tin du Vatican qui retran­scrit ses con­ver­sa­tions, on trou­ve à cet endroit, entre paren­thè­ses, la men­tion « rires ». Et on trou­ve d’autres « rires » et « applau­dis­se­men­ts » après cet­te autre bou­ta­de : « Que les théo­lo­giens fas­sent leur tra­vail.  Mais n’attendons pas qu’ils se met­tent d’accord ».

François l’a répé­té des dizai­nes des fois. Les monu­men­ta­les diver­gen­ces de foi qui divi­sent le mon­de chré­tien doi­vent être mises sur le côté.  Son œcu­mé­ni­sme est un œcu­mé­ni­sme de l’ac­tion, en faveur de la paix entre les peu­ples.

En ce qui con­cer­ne l’unité de la foi, en revan­che, pour lui être bap­ti­sé c’est déjà beau­coup et, pour le reste, « on n’a qu’à met­tre les théo­lo­giens sur un île déser­te pour qu’ils discu­tent entre eux ». Le Pape François répè­te sou­vent cet­te plai­san­te­rie qu’il attri­bue au patriar­che œcu­mé­ni­que de Constantinople Athénagoras, celui de la mémo­ra­ble embras­sa­de avec Paul VI à Jérusalem en 1964.  Il ne sem­ble pas que ce patriar­che l’ait jamais pro­non­cée mais elle fait désor­mais par­tie du réper­toi­re du Pape actuel.

Cet œcu­mé­ni­sme de l’ac­tion est pour­tant pro­blé­ma­ti­que et a des réper­cus­sions dra­ma­ti­ques dans l’Église et en-dehors.

Pour les catho­li­ques, par exem­ple, la com­mu­nion à la mes­se est très dif­fé­ren­te de la maniè­re dont la voient les pro­te­stan­ts. Mais François, en répon­dant il y a trois ans à une luthé­rien­ne qui lui deman­dait si elle pou­vait com­mu­nier avec son mari catho­li­que, lui a d’abord dit oui, puis non, puis je ne sais pas, et enfin fai­tes com­me vous vou­lez.

Le résul­tat est qu’en Allemagne, où les maria­ges inter­con­fes­sion­nels sont cou­ran­ts, la majo­ri­té des évê­ques con­sent à don­ner la com­mu­nion aux deux con­join­ts. Même si sept évê­ques alle­mands, dont un car­di­nal en ont appe­lé à la Congrégation pour la doc­tri­ne de la foi qui a blo­qué cet­te pra­ti­que en exi­geant, sur un sujet aus­si sen­si­ble, de d’abord par­ve­nir à un accord non seu­le­ment dans l’Église catho­li­que tou­te entiè­re mais éga­le­ment par­mi les autres con­fes­sions chré­tien­nes.  Ce qui revient à dire jamais, étant don­né que les ortho­do­xes sont radi­ca­le­ment oppo­sés à tou­te for­me d’ « inter­com­mu­nion » qu’ils con­si­dè­rent com­me une étant un abo­mi­na­tion.

L’Ukraine con­sti­tue un autre exem­ple de sujet explo­sif. Là-bas, les ortho­do­xes dépen­dent depuis des siè­cles du patriar­cat de Moscou.  Mais aujourd’hui ils veu­lent leur indé­pen­dan­ce avec le sou­tien de leurs com­pa­trio­tes grecs-catholiques et l’appui du patriar­cat de Constantinople Bartholomée.

Moscou refu­se natu­rel­le­ment de céder et entre­temps, le pré­si­dent rus­se Vladimir Poutine a anne­xé la Crimée et agres­sé mili­tai­re­ment l’Ukraine. Et François ?  Il a rejoint le camp de Moscou en répri­man­dant publi­que­ment les grecs-catholiques et en leur inti­mant l’ordre de ne pas « s’immiscer ».  Car c’est cela aus­si, l’œcuménisme de François.

*

Cette note est parue dans “L’Espresso” n. 32 de 2018, en ven­te en kio­sque le 12 août, à la page d’o­pi­nion inti­tu­lée “Settimo Cielo”, con­fiée à Sandro Magister.

Voici la liste de tou­tes les pré­cé­den­tes notes :

> “L’Espresso” au sep­tiè­me ciel

*

POST-SCRIPTUM — Je cor­ri­ge une erreur.  Le pro­fes­seur Enrico Galavotti m’a signa­lé que la bou­ta­de sur les théo­lo­giens qu’il fau­drait envoyer sur une île déser­te a bien été dite à l’o­ri­gi­ne par le patriar­che Athënagoras et qu’el­le se trou­ve dans le livre d’Olivier Clément “Dialogues avec le patriar­che Athënagoras”, édi­té en France chez Arthème Fayard et publié en Italien par Gribaudi en 1972 sous le titre “Dialoghi con Atenagora”.

Mais en quel sens le patriar­che a‑t-il pro­non­cé cet­te phra­se?  Voici le pas­sa­ge en que­stion de l’en­tre­tien.

*

CLÉMENT : Il sem­ble que vous auriez dit que vous vou­driez noyer tous les théo­lo­giens dans le Bosphore!

ATHÉNAGORAS : Je n’ai jamais dit ça !  C’est une légen­de…  J’ai seu­le­ment pro­po­sé de ras­sem­bler tous les théo­lo­giens sur une île .  Avec beau­coup de cham­pa­gne et de caviar !

CLÉMENT : Pour vous débar­ras­ser d’eux ou pour fai­re en sor­te qu’il puis­sent tra­vail­ler dans les meil­leurs con­di­tions?  Ceci dit, je ne suis pas habi­tué à dîner au cham­pa­gne.  Je ne suis pas du tout ivre, hélas, ni de cham­pa­gne…

ATHÉNAGORAS : .. ni d’Esprit Saint !  Vous êtes plus mau­vais que moi…  Pour répon­dre à votre que­stion: dans un pre­mier temps j’au­rais vou­lu les met­tre sur une île pour pou­voir respi­rer un peu en paix: pour que les chré­tiens des diver­ses con­fes­sions puis­sent se con­naî­tre de maniè­re spon­ta­née, désin­té­res­sée, sans qu’on leur rap­pel­le à tout bout de champ qu’ils ont rai­son, que les autres ont tort et qu’ils doi­vent rester sur leurs gar­des…  Aujourd’hui en revan­che je pen­se qu’ils devra­ient aller sur une île pour qu’ils discu­tent au finish…  Le moment est venu.

CLÉMENT : Maintenant, effec­ti­ve­ment, grâ­ce au long tra­vail du mou­ve­ment œcu­mé­ni­que, grâ­ce au rap­pro­che­ment en pro­fon­deur avec l’Église de Rome, dont vous êtes l’in­sti­ga­teur, il y a une con­fian­ce fon­da­men­ta­le entre les chré­tiens…  Au fond, pour vous, le tra­vail du théo­lo­gien est tou­jours secon­dai­re: il expri­me une posi­tion glo­ba­le déjà à l’œu­vre, la méfian­ce au moment de la méfian­ce, la con­ver­gen­ce quand l’a­mour revient…

ATHÉNAGORAS : C’est exac­te­ment ça.

*

Vu le nom­bre de fois qu’il res­sort cet­te bou­ta­de, il sem­ble que le Pape François se réfè­re à la pre­miè­re des deux signi­fi­ca­tions suc­ces­si­ves — “Dans un pre­mier temps…  Aujourd’hui en revan­che” — qu’Athënagoras lui a don­née.

Share Button

Date de publication: 12/08/2018