Communion aux protestants. La bombe a explosé en Allemagne mais toute l’Église est sous le choc

Si on réé­cou­te et qu’on regar­de à nou­veau aujourd’hui la répon­se tor­tueu­se – oui, non, je ne sais pas, fai­tes com­me vous vou­lez – don­née par le Pape François le 15 novem­bre 2015 dans l’église luthé­rien­ne de Rome à la fem­me pro­te­stan­te qui lui deman­dait si elle pou­vait com­mu­nier à la mes­se avec son mari catho­li­que, on se dit qu’il s’agissait d’un por­trait fidè­le de la réa­li­té :

> « Mi chia­mo… »

Les oui, non, je ne sais pas, fai­tes com­me vous vou­lez que François a pro­non­cés à cet­te occa­sion n’étaient pas les tâton­ne­men­ts à l’aveugle de quelqu’un qui ne savait pas quoi répon­dre mais pré­ci­sé­ment le con­trai­re.  Ils disa­ient bien ce que le pape vou­lait qu’il se pas­se et qui est en effet en train d’arriver aujourd’hui dans l’Église.

Le déclen­cheur a été cet­te déci­sion pri­se à la majo­ri­té des évê­ques par l’Allemagne en février der­nier d’admettre les con­join­ts pro­te­stan­ts à la com­mu­nion eucha­ri­sti­que. Une déci­sion qui a pro­vo­qué une levée de bou­cliers de la part des évê­ques dis­si­den­ts, dont sept d’entre eux – y com­pris le car­di­nal de Cologne Rainer Woelki – ont fait appel à Rome, à la Congrégation pour la doc­tri­ne de la foi :

> Un car­di­nal, sept évê­ques et qua­tre nou­veaux « dubia ». Cette fois sur l’intercommunion

Le Pape François a alors con­vo­qué un som­met à Rome pour met­tre autour de la table les auto­ri­tés du Vatican com­pé­ten­tes en matiè­re de doc­tri­ne et d’œcuménisme avec les repré­sen­tan­ts alle­mands des deux par­ties en désac­cord. Mais ce som­met, qui s’est tenu le 3 mai, s’est dans les fai­ts ter­mi­né sur un match nul par la volon­té du Pape.  Ou plus pré­ci­sé­ment, par l’ordre don­né par François aux évê­ques alle­mands de « trou­ver, dans un esprit de com­mu­nion ecclé­sia­le, un résul­tat si pos­si­ble una­ni­me ».  En pra­ti­que, un tel accord étant impen­sa­ble, il s’agit d’un feu vert pour tou­tes les posi­tions diver­ses et variées.

Et c’est bien ce qui est en train de se pro­dui­re. Avec en plus la divi­sion qui, étant don­né la gra­vi­té extrê­me de la matiè­re en jeu, puisqu’elle tou­che à la con­cep­tion même de l’eucharistie et donc du sacre­ment qui est « la sour­ce et le som­met de la vie de l’Église », dépas­se les fron­tiè­res de l’Allemagne et est en train de secouer l’Église catho­li­que tou­te entiè­re, avec des inter­ven­tions oppo­sées de car­di­naux et d’évêques de pre­mier ordre, tel que par exem­ple – en défen­se de la « bon­ne doc­tri­ne » mise en dan­ger par le refus du Pape de « fai­re la clar­té » — le car­di­nal hol­lan­dais Willem Jacobus Eijk :

> Alerte géné­ra­le dans l’Eglise. Mais François la lais­se reten­tir dans le vide

Il était donc pré­vi­si­ble que l’une ou l’autre voix s’élève des Etats-Unis, un autre pays dans lequel le grand nom­bre de maria­ges mix­tes rend cet­te con­tro­ver­se par­ti­cu­liè­re­ment vive.

Et c’est bien ce qui s’est pas­sé le 23 mai avec cet­te inter­ven­tion dans « First Things » de l’archevêque de Philadelphie, Charles J. Chaput (pho­to), qui cri­ti­que lui aus­si sévè­re­ment la « pro­te­stan­ti­sa­tion » de l’Eglise catho­li­que, autre­ment dit cet­te déri­ve géné­ra­li­sée que beau­coup con­si­dè­rent com­me carac­té­ri­sti­que du pon­ti­fi­cat actuel et qui se mani­fe­ste notam­ment par la « atro­phie » des sacre­men­ts tels que le maria­ge, la con­fes­sion et, pré­ci­sé­ment, l’eucharistie.

> What Happens in Germany

Voici le pas­sa­ge cen­tral de son arti­cle qu’il est tou­te­fois bon de lire dans son inté­gra­li­té :

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Une façon polie de dis­si­mu­ler la véri­té

par Charles J. Chaput

La que­stion de savoir qui peut rece­voir l’Eucharistie, quand et com­ment, ne con­cer­ne pas que l’Allemagne. Si, com­me l’affirme Vatican II, l’Eucharistie est la sour­ce et le som­met de notre vie chré­tien­ne et le sceau de notre uni­té catho­li­que, alors les répon­ses à ces que­stions ont des impli­ca­tions pour l’Église tou­te entiè­re.  Elles nous con­cer­nent tous.  Dans cet­te opti­que, voi­ci quel­ques poin­ts de réfle­xion et de discus­sion que je pro­po­se, en tant que sim­ple évê­que dio­cé­sain par­mi tant d’autres :

  1. Si l’Eucharistie est vrai­ment le signe et l’instrument de l’unité de ecclé­sia­le, alors en chan­geant les con­di­tions de la com­mu­nion, ne redéfinit-on pas aus­si ce qu’est l’Église ?
  2. Que ce soit inten­tion­nel ou pas, c’est pour­tant exac­te­ment ce que va fai­re la pro­po­si­tion alle­man­de. Il s’agit de la pre­miè­re éta­pe pour ouvrir la com­mu­nion à tous les Protestants ou à tous les bap­ti­sés puisqu’en défi­ni­ti­ve le maria­ge ne con­sti­tue pas en lui-même une rai­son pour auto­ri­ser la com­mu­nion aux non-catholiques.
  3. La com­mu­nion pré­sup­po­se une foi et un cre­do com­mun, y com­pris une foi sur­na­tu­rel­le en la pré­sen­ce réel­le de Jésus Christ dans l’Eucharistie, ain­si que dans les sept sacre­men­ts recon­nus par la tra­di­tion per­ma­nen­te de l’Église catho­li­que. En remet­tant cela en cau­se, la pro­po­si­tion Allemande adop­te dans les fai­ts une notion pro­te­stan­te de l’identité ecclé­sia­le. Être bap­ti­sé et croi­re au Christ sem­ble suf­fi­re, sans qu’il soit néces­sai­re de croi­re au mystè­re de la foi tel­le que la tra­di­tion catho­li­que et ses con­ci­les la com­pren­nent. Le con­joint pro­te­stant devra-t-il croi­re aux ordres sacrés tel que l’Église catho­li­que les com­prend, pui­sque ceux-ci sont logi­que­ment en lien avec la croyan­ce que le pain et le vin sont le corps et le sang du Christ ? Ou bien les évê­ques alle­mands suggèrent-ils que le sacre­ment de l’Ordre pour­rait ne pas dépen­dre de la suc­ces­sion apo­sto­li­que ? En ce cas, nous serions face à une erreur bien plus gra­ve.
  4. La pro­po­si­tion alle­man­de bri­se le lien vital entre la com­mu­nion et la con­fes­sion sacra­men­tel­le. On sup­po­se que cela n’implique pas que le con­joint pro­te­stant doi­ve con­fes­ser ses péchés gra­ves avant de com­mu­nier. Ce qui entre pour­tant en con­tra­dic­tion avec la pra­ti­que per­ma­nen­te et l’enseignement dog­ma­ti­que de l’Église catho­li­que, le con­ci­le de Trente, le caté­chi­sme de l’Église catho­li­que actuel ain­si qu’avec le Magistère ordi­nai­re. Ce qui aurait pour effet d’entraîner une pro­te­stan­ti­sa­tion de la théo­lo­gie catho­li­que des sacre­men­ts.
  5. Si l’enseignement de l’Église peut être igno­ré ou rené­go­cié, y com­pris un ensei­gne­ment ayant reçu une défi­ni­tion con­ci­liai­re (dans le cas pré­sent, à Trente), est-ce que tous les con­ci­les peu­vent être histo­ri­que­ment rela­ti­vi­sés et rené­go­ciés ? Aujourd’hui, de nom­breux pro­te­stan­ts libé­raux rejet­tent l’enseignement sur la divi­ni­té du Christ du Concile de Nicée ou le con­si­dè­rent com­me un sim­ple baga­ge histo­ri­que. Le con­joint pro­te­stant devra-t-il croi­re à la divi­ni­té du Christ ? S’ils doi­vent croi­re à la pré­sen­ce réel­le du Christ dans le sacre­ment, pour­quoi ne devraient-ils pas par­ta­ger la croyan­ce catho­li­que dans les ordres sacrés et dans le sacre­ment de récon­ci­lia­tion ? Et s’ils cro­ient à tout cela, pour­quoi ne sont-ils pas invi­tés à deve­nir catho­li­que afin d’entrer en com­mu­nion visi­ble et entiè­re ?
  6. Si les Protestants sont invi­tés à la com­mu­nion catho­li­que, les catho­li­ques seront-ils tou­jours empê­chés de com­mu­nier chez les pro­te­stan­ts ? Si c’est le cas, pour­quoi en seraient-ils empê­chés ? Si on ne les en empê­che pas, est-ce que cela n’implique pas que la vision catho­li­que des ordres sacrés et de la con­sé­cra­tion eucha­ri­sti­que vali­de serait en fait faus­se et, si elle est faus­se, que les croyan­ces pro­te­stan­tes sera­ient vra­ies ? Si l’intercommunion n’est pas cen­sée entraî­ner une équi­va­len­ce entre les con­cep­tions catho­li­ques et pro­te­stan­tes de l’Eucharistie, alors la pra­ti­que de l’intercommunion induit le croyant en erreur. N’est-ce pas là un cas d’école de « cau­se de scan­da­le » ? Et cela ne sera-t-il pas con­si­dé­ré par beau­coup com­me une for­me polie de trom­pe­rie ou com­me une ten­ta­ti­ve de cacher des ensei­gne­men­ts plus dif­fi­ci­les dans le con­tex­te de la discus­sion œcu­mé­ni­que ? On ne peut con­strui­re l’Unité sur un pro­ces­sus qui dis­si­mu­le systé­ma­ti­que­ment la véri­té de nos dif­fé­ren­ces.

L’essence de la pro­po­si­tion alle­man­de sur l’intercommunion c’est qu’on pour­rait par­ta­ger la sain­te com­mu­nion même sans qu’il y ait véri­ta­ble­ment d’unité dans l’Église. Cela frap­pe au cœur la véri­ta­ble natu­re du sacre­ment de l’Eucharistie par­ce que, par sa natu­re même, l’Eucharistie c’est le corps du Christ.  Et le « corps du Christ », c’est la pré­sen­ce réel­le et sub­stan­tiel­le du Christ sous les appa­ren­ces du pain et du vin ain­si que l’Église elle-même, la com­mu­nion des croyan­ts unis au Christ, à la tête.  Recevoir l’eucharistie, c’est pro­cla­mer d’une façon publi­que et solen­nel­le, devant Dieu et dans l’Église, qu’on est en com­mu­nion à la fois avec Jésus et avec la com­mu­nau­té visi­ble qui célè­bre l’eucharistie.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 25/05/2018