Cette Babel argentine qui sème la confusion dans toute l’Église

« No hay otras inter­pre­ta­cio­nes », il n’y a pas d’autres inter­pré­ta­tions. La plus spec­ta­cu­lai­re « fake news » du pon­ti­fi­cat du Pape François tient en ces qua­tre mots de la let­tre qu’il a écri­re le 5 sep­tem­bre 2016 aux évê­ques de la région de Buenos Aires, pour approu­ver leurs « Critères » con­cer­nant la com­mu­nion des divorcés-remariés.

En fait, il n’y a rien de plus éloi­gné de la réa­li­té que ces qua­tre mots, si l’on prend la pei­ne d’observer la diver­si­té de posi­tions con­tra­stées d’ « Amoris lae­ti­tia » qui ont désor­mais libre cours dans l’Eglise catho­li­que, d’un pays à un autre, d’un dio­cè­se à l’autre, d’une parois­se à l’autre, cha­cun reven­di­quant sa pro­pre par­fai­te con­for­mi­té avec le cru­cial cha­pi­tre huit de cet­te exhor­ta­tion post-synodale.

Le Pape François est con­vain­cu que ces diver­gen­ces de posi­tions ne sont que de natu­re « pasto­ra­le » sans le moin­dre impact pour la doc­tri­ne. Le maria­ge reste indis­so­lu­ble et l’adultère ne peut jamais être justi­fié ; et sur cela, le Pape n’admet pas que l’on puis­se expri­mer de dou­tes.

Mais la réa­li­té dit le con­trai­re. En fait, c’est juste­ment l’interprétation d’ « Amoris lae­ti­tia » don­née par les évê­ques argen­tins et offi­cia­li­sée par le Pape François qui finis­sent par démo­lir la doc­tri­ne catho­li­que du maria­ge.

C’est en tout cas l’argument du théo­lo­gien béné­dic­tin Giulio Meiattini, de l’Abbaye de Notre-Dame de La Scala à Noci, pro­fes­seur à la Faculté de théo­lo­gie des Pouilles et à l’Athénée Saint-Anselme de Rome, dans son livre paru il y a quel­ques jours :

Meiattini OSB, “Amoris lae­ti­tia ? I sacra­men­ti ridot­ti a mora­le” [Les sacre­men­ts rédui­ts à de la mora­le], La Fontana di Siloe, Turin, 2018.

Nous repro­dui­sons ci-dessous un extrait d’un cha­pi­tre de cet ouvra­ge qui met lumiè­re les bou­le­ver­se­men­ts radi­caux en matiè­re de doc­tri­ne inhé­ren­ts au docu­ment des évê­ques argen­tins approu­vé par le Pape.

La distor­sion la plus gra­ve indui­te par ce docu­ment et, à au départ, par le cha­pi­tre huit d’ « Amoris lae­ti­tia » — affir­me Meiattini – c’est l’abandon du « fon­de­ment sacra­men­tel » de la mora­le rela­ti­ve au maria­ge chré­tien. « Il sem­ble que dans ce cha­pi­tre, tout pro­vien­ne d’une éthi­que géné­ra­le de la loi natu­rel­le ».  D’où le sous-titre du livre : « Les sacre­men­ts rédui­ts à de la mora­le ».

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« Amoris Laetitia » est con­fu­se. Mais le docu­ment des évê­ques argen­tins la con­fond enco­re davan­ta­ge

de Giulio Meiattini OSB

Les dix « Critères » pro­mul­gués par les évê­ques de la cir­con­scrip­tion de Buenos Aires don­nent des indi­ca­tions sur la façon de se com­por­ter vis-à-vis de la « situa­tion d’un divor­cé qui vivrait une nou­vel­le union », sans spé­ci­fier si cet­te nou­vel­le union con­si­ste en un maria­ge civil à tous les effe­ts ou en une sim­ple coha­bi­ta­tion ou en une union de fait.

C’est ain­si que nous nous trou­vons d’emblée face à une impré­ci­sion de fond pré­ci­sé­ment sur le tex­te qui est cen­sé dis­si­per les ambi­guï­tés d’ « Amoris lae­ti­tia ». Cette let­tre fait réfé­ren­ce aux « bap­ti­sés qui sont divor­cés et rema­riés civi­le­ment », donc à une caté­go­rie bien pré­ci­se, alors qu’une per­son­ne pour­rait avoir divor­cé d’un maria­ge civil et puis enco­re à nou­veau d’une autre maria­ge même sacra­men­tel avant de se trou­ver actuel­le­ment dans une union de fait et ren­trer quand même dans les « Critères » pour un accès éven­tuel aux sacre­men­ts.

Au n°5 du docu­ment, on peut lire : « Quand les cir­con­stan­ces con­crè­tes d’un cou­ples le ren­dent fai­sa­ble, en par­ti­cu­lier quand tous deux sont chré­tiens et ont un che­min de foi, on peut pro­po­ser l’engagement de vivre la con­ti­nen­ce sexuel­le ».

Je sou­li­gne ici le « on peut pro­po­ser ». Donc, non seu­le­ment la con­ti­nen­ce est facul­ta­ti­ve, se voyant ici rédui­te d’exigence à une sim­ple pro­po­si­tion, mais pré­sen­té de la sor­te, elle est même facul­ta­ti­ve pour le prê­tre.  Si on s’en tient aux mots du tex­te, le con­fes­seur pour­rait très bien ne pas pro­po­ser la con­ti­nen­ce, pour l’une ou l’autre rai­son non spé­ci­fiée, et direc­te­ment pas­ser à l’absolution ;

Les con­sé­quen­ces sur le plan pra­ti­que sont radi­ca­les. Il est pos­si­ble, en fait, que l’on pas­se outre la sim­ple ten­ta­ti­ve d’encourager cet­te réso­lu­tion, sans même la pren­dre en con­si­dé­ra­tion.  La que­stion qui se pose, c’est si le péni­tent doit même être mis au cou­rant qu’il est cen­sé essayer de se con­for­mer à cet­te réso­lu­tion, pour fai­re pre­u­ve d’au moins une amor­ce de repen­tir.  Autrement, en l’absence de cet­te réso­lu­tion de repen­tir, l’absolution est inva­li­de et le péché demeu­re.  Sommes-nous cer­tains que la doc­tri­ne n’a pas chan­gé ?

L’objection se ren­for­ce enco­re si nous pas­sons au n°6 du docu­ment, où l’on par­le d’ « autres cir­con­stan­ces plus com­ple­xes », non spé­ci­fiées, dans lesquel­les « l’option [de la con­ti­nen­ce] que l’on vient de men­tion­ner ne peut pas être sui­vie dans les fai­ts ».

Cela revient à liqui­der com­plè­te­ment le repen­tir et la réso­lu­tion de ne plus pécher com­me con­di­tion de l’absolution. Donc, après avoir pré­sen­té com­me facul­ta­ti­ve la pro­po­si­tion de pren­dre la réso­lu­tion de fai­re con­ti­nen­ce, on éli­mi­ne de fait la réso­lu­tion elle-même.  Ce qui est décou­le natu­rel­le­ment de ce type de logi­que non théo­lo­gi­que.

Affirmer, enfin, que les sacre­men­ts de la récon­ci­lia­tion et de l’eucharistie « dispo­se­ra­ient la per­son­ne à pour­sui­vre le pro­ces­sus de matu­ra­tion et à croî­tre avec la for­ce de la grâ­ce », même sans réso­lu­tion de s’amender et donc sans repen­tir, me fait dire que ces « cri­tè­res » ne con­cor­dent pas avec l’enseignement du Concile de Trente et avec la doc­tri­ne du Catéchisme de l’Eglise catho­li­que sur le sacre­ment de la Réconciliation.

Il est inté­res­sant de remar­quer que le mot « scan­da­le », uti­li­sé une seu­le fois au n°8, ne fait pas réfé­ren­ce à celui cau­sé par les fidè­les qui vivent une union irré­gu­liè­re mais aux « inju­sti­ces » qu’un con­joint pour­rait éven­tuel­le­ment avoir exer­cées sur l’autre, pro­vo­quant ain­si la sépa­ra­tion.

Ce détail peut être uti­le pour com­pren­dre tou­tes les impli­ca­tions con­te­nues dans le numé­ro 9 qui suit, où l’on affir­me : « Il peut être oppor­tun qu’un accès éven­tuel aux sacre­men­ts se fas­se de façon réser­vée, sur­tout quand on peut sup­po­ser des situa­tions de désac­cord ».

Il s’agit en fait d’un point impor­tant, par­ce qu’on sug­gè­re en fait que la com­mu­nion eucha­ri­sti­que de ces per­son­nes puis­se éga­le­ment se fai­re en public, et pas de façon réser­vée.

Cette affir­ma­tion rend de fait facul­ta­ti­ve la voie de la réser­ve et per­met donc à ceux qui vivent en état d’adultère fla­grant et objec­tif de s’approcher publi­que­ment de la com­mu­nion sacra­men­tel­le. Naturellement, on ne men­tion­ne aucu­ne for­me de péni­ten­ce visi­ble, même mini­me et légè­re, com­me cela se fait par exem­ple dans les Eglises ortho­do­xes pour ceux qui accè­dent à de secon­des noces.

On com­prend que la voie que mon­trent ces « Critères » n’est pas cel­le du for inter­ne au sens pro­pre pui­sque celle-ci, dans ce cas bien pré­cis, exi­ge­rait que l’accès à la com­mu­nion eucha­ri­sti­que se dérou­le de façon à ne pas cau­ser de scan­da­le ou de con­fu­sion chez les fidè­les et de façon à ne pas leur fai­re croi­re qu’il n’y aurait plus de dif­fé­ren­ce entre union légi­ti­me et adul­tè­re.

Les « Critères », au con­trai­re, envi­sa­gent la pos­si­bi­li­té de dépas­ser même cet­te der­niè­re for­me de réser­ve pour ceux qui vivent dans un état d’adultère objec­tif. Et ce n’est pas tout puisqu’on ajou­te immé­dia­te­ment après : « Il ne faut pas ces­ser d’accompagner les com­mu­nau­tés pour les aider à gran­dir en esprit de com­pré­hen­sion et d’accueil ».  Le con­cept est clair : c’est la com­mu­nau­té qui a besoin d’être accom­pa­gnée et con­ver­tie, c’est elle qui doit s’habituer à accueil­lir com­me « nor­maux » ces com­por­te­men­ts  jusqu’à pré­sent mora­le­ment et ecclé­sia­le­ment inac­cep­ta­bles.  Il est dif­fi­ci­le de nier qu’il s’agit là d’un véri­ta­ble­ment ren­ver­se­ment : ce n’est pas celui qui vit dans une situa­tion de scan­da­le objec­tif qui devrait chan­ger ou com­mu­nier de maniè­re discrè­te, après abso­lu­tion, là où sa con­di­tion irré­gu­liè­re n’est pas con­nue, mais c’est la com­mu­nau­té ecclé­sia­le qui doit être capa­ble de ne plus se « scan­da­li­ser ».

Dans ce cadre, la phra­se fina­le du n°9 qui exhor­te à « ne pas créer de con­fu­sion à pro­pos de l’enseignement de l’Eglise sur l’indissolubilité du maria­ge » res­sem­ble fort à une plai­san­te­rie de mau­vais goût. Si la pra­ti­que admet que ceux qui vivent dans une union objec­ti­ve­ment adul­tè­re puis­sent s’approcher « coram popu­lo » à la com­mu­nion eucha­ri­sti­que, sans même poser au préa­la­ble un geste recon­nu par l’Eglise de repen­tir pour un péché public, l’indissolubilité et l’unicité du maria­ge chré­tien ne sont plus qu’une coquil­le vide.  Parce ce qui comp­te, c’est ce que l’on fait et pas ce que l’on dit !  Et la for­ce des com­por­te­men­ts rési­de juste­ment dans leur capa­ci­té à con­for­mer et à façon­ner la pen­sée, la per­cep­tion et la vie.

Dans ce cas, la réa­li­té est vrai­ment plus impor­tan­te que l’idée, et la réa­li­té c’est que dans la pen­sée et la per­cep­tion com­mu­ne, on en vien­dra très rapi­de­ment à met­tre en pra­ti­que sur le même pied ce qui est régu­lier et ce qui est irré­gu­lier, le maria­ge indis­so­lu­ble et le maria­ge « solu­ble ».

Il n’y aura plus aucun signe visi­ble per­met­tant de distin­guer devant la com­mu­nau­té les con­join­ts fidè­les qui s’approchent de la com­mu­nion des adul­tè­res qui font pareil. Et avec cet­te accou­tu­man­ce pri­vée de « désac­cords », dispa­raî­tra pro­ba­ble­ment la réac­tion scan­da­li­sée, c’est-à-dire le scan­da­le psy­cho­lo­gi­que, et c’est le scan­da­le objec­tif qui s’installera : la per­cep­tion de la nor­ma­li­té de l’adultère public.

Voilà ce qui se pas­se lor­sque l’on sous-estime la dimen­sion visi­ble et sacra­men­tel­le en faveur d’un discer­ne­ment pure­ment moral.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 28/02/2018