Au sommet, l’homosexualité est tabou. Mais on reste prudent sur la « tolérance zéro »

Le 21 février, au matin de l’ouverture du som­met entre le pape François et les chefs de file de l’Eglise mon­dia­le sur le thè­me des abus sur mineurs, le grand absent, c’est le mot « homo­se­xua­li­té ». Et ce nonob­stant que la majeu­re par­tie des abus recen­sés jusqu’ici impli­quent de jeu­nes, voi­re de très jeu­nes garçons pubè­res.

Le mot « homo­se­xua­li­té » n’apparaît ni dans le discours inau­gu­ral du pape ni dans aucun des 21 « poin­ts de réfle­xion » qu’il a fait distri­buer dans la sal­le ni dans le rap­port intro­duc­tif du car­di­nal Luis Antonio G. Tagle, de l’archevêque Charles J. Scicluna ni, dans l’après-midi, du car­di­nal Ruben Salazar Gómez.

Au con­trai­re, Mgr Scicluna, inter­pel­lé à ce sujet pen­dant la con­fé­ren­ce de pres­se de mi-journée (voir pho­to) a décla­ré que « géné­ra­li­ser sur une caté­go­rie de per­son­nes n’est jamais légi­ti­me » par­ce que l’homosexualité « n’est pas quel­que cho­se qui pré­di­spo­se au péché » com­me ce pour­rait être le cas pour la « con­cu­pi­scen­ce ».

Le car­di­nal Scicluna est l’homme-clé du comi­té d’organisation du som­met. En plus d’être arche­vê­que de Malte, il a été pen­dant plu­sieurs années pro­mo­teur de justi­ce à la Congrégation pour la doc­tri­ne de la foi dont il est rede­ve­nu secré­tai­re adjoint avec une com­pé­ten­ce spé­ci­fi­que en matiè­re d’abus sexuels.  C’est l’homme qui expri­me aujourd’hui le plus direc­te­ment la volon­té de François après que ce der­nier ait dans les fai­ts désa­voué le car­di­nal Sean P. O’Malley qui était il y a enco­re un an le plus pro­che hom­me de con­fian­ce du pape en la matiè­re mais qui aujourd’hui n’est plus que pré­si­dent « pour la for­me » du con­seil pon­ti­fi­cal pour la pro­tec­tion des mineurs.

Il sem­ble­rait que jusqu’à pré­sent, l’appel des car­di­naux Walter Brandmüller et Raymond L. Burke – et de nom­breux autres clercs et laïcs – à affron­ter à visa­ge décou­vert la pla­ie de l’homosexualité dans le cler­gé en tant que symp­tô­me d’un aban­don dif­fus de la « véri­té de l’Évangile » soit resté let­tre mor­te.

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En revan­che, dès les pre­miers échan­ges du som­met, s’est déga­gée une volon­té d’équilibrer la sévé­ri­té des pro­cès en matiè­re d’abus sexuels dans le sens d’un meil­leur respect des droi­ts des accu­sés.

La « tolé­ran­ce zéro », c’est le nom qu’on don­ne à la rigueur puri­tai­ne avec laquel­le on vou­drait frap­per les auteurs d’abus. Cette rigueur est récla­mée à cors et à cris par l’opinion publi­que laï­que.  Mais elle coû­te très cher en matiè­re de vio­la­tion des droi­ts les plus élé­men­tai­res, com­me Settimo Cielo l’a récem­ment mis en lumiè­re dans un arti­cle :

> “Tolérance zéro”. Le mot d’ordre d’une Église sans misé­ri­cor­de

Et en effet, dans les 21 « poin­ts de réfle­xion » que le pape François a remis aux par­ti­ci­pan­ts au som­met, on lit au point 4 : « Mettre en œuvre des pro­cé­du­res pour le droit de la défen­se des accu­sés ».  Au point 10 : « Préparer des iti­né­rai­res péni­ten­tiels et de restau­ra­tion pour les cou­pa­bles ».  Au point 11 : « Reconnaître et discer­ner les vrais cas des faux, les accu­sa­tions de la calom­nie ».  Au point 14 : « Sauvegarder le prin­ci­pe du droit natu­rel et cano­ni­que de la pré­somp­tion d’in­no­cen­ce jusqu’à la pre­u­ve de la cul­pa­bi­li­té de l’ac­cu­sé. Pour cela, il faut évi­ter la publi­ca­tion de listes des per­son­nes accu­sées, même par les dio­cè­ses, avant l’en­quê­te préa­la­ble et la con­dam­na­tion défi­ni­ti­ve ».

Dans le rap­port de Mgr Scicluna qui a retra­cé tou­tes les pha­ses des pro­cès pour abus sur mineurs, on retrou­ve éga­le­ment des rap­pels impor­tan­ts des droi­ts des accu­sés.

Après avoir admis que « la majo­ri­té des pro­cé­du­res péna­les cano­ni­ques sont de type extra­ju­di­ciai­re ou admi­ni­stra­tif », Scicluna fait cet aver­tis­se­ment :

« L’essence d’une pro­cé­du­re équi­ta­ble exi­ge que l’accusé soit pré­sen­té avec tous les argu­men­ts et pre­u­ves à son encon­tre ; que l’accusé béné­fi­cie plei­ne­ment du droit de pré­sen­ter sa défen­se ; ce juge­ment est ren­du sur la base des fai­ts de la cau­se et de la loi appli­ca­ble à la cau­se ; qu’un juge­ment ou une déci­sion moti­vée est com­mu­ni­qué par écrit à l’accusé et que celui-ci dispo­se d’un recours con­tre un juge­ment ou une déci­sion l’agressant. »

Plus tard, Scicluna deman­de aux évê­ques de fai­re pre­u­ve de la plus gran­de pru­den­ce et d’équité quand il s’agit de déci­der quoi fai­re dans le cas d’un pro­cès cano­ni­que à char­ge d’un de leurs prê­tres se con­cluant non pas par une con­dam­na­tion ou un acquit­te­ment mais par une plus pro­blé­ma­ti­que « deci­sio dimis­so­ria », dans le cas où les accu­sa­tions sont cré­di­bles mais non démon­trées.

Ensuite, Mgr Scicluna enco­re, invi­te à don­ner la plus gran­de publi­ci­té aux juge­men­ts qui éta­blis­sent l’innocence de l’accusé par­ce que « nous savons tous qu’il est très dif­fi­ci­le de réta­blir la répu­ta­tion d’un prê­tre qui pour­rait avoir été accu­sé inju­ste­ment ».

Et enfin, il invi­te la Congrégation pour la doc­tri­ne de la foi elle-même à ne déro­ger qu’exceptionnellement à la pre­scrip­tion pour les cas d’abus éloi­gnés dans le temps : « Le pou­voir de la CDF de déro­ger à la pre­scrip­tion de vingt ans est tou­jours invo­qué dans un cer­tain nom­bre de cas histo­ri­ques, mais il est vrai que cela ne devrait pas être la nor­me, mais plu­tôt l’exception ».

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Il faut remar­quer que la pres­sion de l’opinion publi­que laï­que et des auto­ri­tés civi­les n’exige pas tou­jours de l’Église la plus gran­de « tolé­ran­ce zéro » en matiè­re d’abus sexuels sur mineurs au mépris du droit des accu­sés.

On peut par exem­ple citer une déci­sion de la Cour de justi­ce d’Arnhem qui a accueil­li le 18 avril 2018 le recours d’une fon­da­tion pri­vée hol­lan­dai­se, la Stichting Sint Jan, con­tre la Commission de l’Église catho­li­que romai­ne de Hollande qui enquê­tait sur les abus sexuels.

La cour a esti­mé que dans cer­tains cas, la Commission « n’avait pas respec­té ses pro­pres règle et, ce fai­sant, a vio­lé les droi­ts fon­da­men­taux de l’accusé », par exem­ple quand « une dénon­cia­tion, qui avait pour­tant déjà été décla­rée non-fondée par un juge­ment défi­ni­tif, a été rou­ver­te et décla­rée fon­dée » ou enco­re quand elle a con­si­dé­ré com­me cré­di­ble une « décla­ra­tion iso­lée et inco­hé­ren­te d’un plai­gnant dépour­vue de pre­u­ves suf­fi­san­tes ».

Le com­mu­ni­qué qui résu­mé ce juge­ment se trou­ve sur le site de la Stichting Sint Jan, en néer­lan­dais, en anglais et en alle­mand.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 22/02/2019