Ukraine. Le plan de paix des grecs-catholiques, dans une guerre qui est aussi de religion

L’agression de la Russie con­tre l’Ukraine a éga­le­ment bou­le­ver­sé la vie des Églises ortho­do­xes dans la ter­re qui a don­né nais­san­ce au chri­stia­ni­sme de ces deux peu­ples. Mais il n’est pas dit qu’un mira­cle de nou­vel œcu­mé­ni­sme ne puis­se pas émer­ger de cet­te cri­se.

In Ukraine, il y a trois Églises ortho­do­xes. La plus gran­de, avec à sa tête le métro­po­li­te Onuphre, est sta­tu­tai­re­ment liée au patriar­cat de Moscou ; une autre, indé­pen­dan­te, et diri­gée par le patriar­che Épiphane, a vu le jour en 2018 avec l’approbation du patriar­cat œcu­mé­ni­que de Constantinople ; et une troi­siè­me, plus peti­te, avec com­me patriar­che Philarète, s’est sépa­rée de Moscou au moment de la dis­so­lu­tion de l’empire sovié­ti­que. De plus, il y a une Église grecque-catholique de rite orien­tal bien vivan­te, avec envi­ron 5 mil­lions de fidè­les, diri­gée par l’archevêque majeur de Kiev, Sviatoslav Chevtchouk.

Alors que l’Église grecque-catholique et les deux Églises ortho­do­xes indé­pen­dan­tes de Moscou se sont immé­dia­te­ment et una­ni­me­ment mon­trées soli­dai­res de la rési­stan­ce de l’Ukraine con­tre l’agression rus­se, en ce qui con­cer­ne l’Église ortho­do­xe liée au patriar­cat de Moscou, la guer­re a créé de sérieux pro­blè­mes.

Depuis le début, son patriar­che Onuphre, avec le con­sen­sus d’une bon­ne par­tie des évê­ques, du cler­gé et des fidè­les, a con­dam­né l’agression rus­se et s’est dis­so­cié des thè­ses pro-Poutine débri­dées de Cyrille, le patriar­che de Moscou.

Le 27 mai, l’Église d’Onuphre a même con­vo­qué un con­ci­le qui s’est pro­non­cé en faveur de l’autonomie envers Moscou et a pré­vu une modi­fi­ca­tion en ce sens de ses pro­pres sta­tu­ts. Et cela alors que de mois en mois, le sen­ti­ment anti­rus­se gran­dit dans une popu­la­tion qui s’identifie tou­jours plus avec la nation ukrai­nien­ne et qui est ten­tée çà et là d’adhérer à l’autre Église ortho­do­xe, l’indépendante, qui a vu le jour en 2018.

Et pour­tant, dans l’Église d’Onuphre, nom­breux sont ceux qui, à tous les niveaux, con­ti­nuent à agir en faveur des agres­seurs.

Quand fin sep­tem­bre, après les réfé­ren­dums mis en scè­ne par les rus­ses dans les ter­ri­toi­res occu­pés, l’acte d’annexion des régions de Donetsk, Lougansk, Zaporozhye et Kherson a été signé à Moscou, trois pré­la­ts de l’Église ukrai­nien­ne d’Onuphre éta­ient pré­sen­ts à la céré­mo­nie. D’autres, dont deux évê­ques, se sont réfu­giés en Russie après que l’Ukraine ait recon­quit les ter­ri­toi­res de leurs dio­cè­ses. Et six autres évê­ques (cinq de Crimée et un de la région de Lougansk) ava­ient sou­strait leurs dio­cè­ses à l’autorité du métro­po­li­te de Kiev pour les repla­cer direc­te­ment sous la juri­dic­tion direc­te du patriar­cat de Moscou.

Au cours du syno­de qui s’est tenu en novem­bre, Onuphre n’a tou­te­fois pris aucu­ne mesu­re disci­pli­nai­re con­tre les col­la­bo­ra­teurs. Ce qui a inci­té le gou­ver­ne­ment de Kiev à adop­ter, début décem­bre, un décret visant à punir « dans les orga­ni­sa­tion reli­gieu­ses en Ukraine » tous ceux qui entre­tien­nent des rap­ports de col­la­bo­ra­tion avec Moscou.

Ce décret fait sui­te à des inspec­tions des ser­vi­ces de sécu­ri­té qui se sont dérou­lés à plu­sieurs endroi­ts au cours des der­niè­res semai­nes et a rapi­de­ment con­duit à sou­met­tre des per­son­na­li­tés impor­tan­tes de l’Église ortho­do­xe d’Onuphre à des mesu­res restric­ti­ves, dont les métro­po­li­tes de Zaporozhye, Lougansk, Borispol, Chernovig, l’archevêque de Konstantinov, le supé­rieur du mona­stè­re de Melitopol et le curé de la cathé­dra­le de Kherson.

Mais la sanc­tion qui a fait le plus de bruit a été cel­le qui a frap­pé l’historique Laure des Grottes (pho­to), le véné­ra­ble mona­stè­re situé au cœur de Kiev, le ber­ceau du chri­stia­ni­sme de la Rus’ anti­que, appar­te­nant à l’État ukrai­nien mais dont la gestion était jusqu’à hier con­fiée à l’Église ortho­do­xe rus­se. Le pré­si­dent ukrai­nien Volodymyr Zelensky l’a sou­strai­te à Moscou pour l’assigner à l’Église ortho­do­xe ukrai­nien­ne indé­pen­dan­te, cel­le du patriar­che Épiphane. L’higoumène de la Laure – déjà impli­qué dans des tra­fics illé­gaux aupa­ra­vant – a été arrê­té à la fron­tiè­re avec la Moldavie et est accu­sé de con­tre­ban­de d’icônes anti­ques.

Dans ce cli­mat ten­du, cer­tai­nes voix se sont éle­vées pour dénon­cer le tour­nant liber­ti­ci­de, fai­sant fi de la liber­té reli­gieu­se, emprun­té par Zelensky par ces mesu­res d’inspection et de rétor­sion.

Mais bien plus gran­des enco­re sont les crain­tes con­cer­nant les ten­sions entre les deux plus gran­des Églises ortho­do­xes d’Ukraine, cel­le qui est enco­re sta­tu­tai­re­ment liée à Moscou et cel­le qui est indé­pen­dan­te, la pre­miè­re étant enco­re emprein­te d’un tra­di­tio­na­li­sme philo-russe tan­dis que la secon­de est net­te­ment plus patrio­ti­que.

Zelensky ne fait pas mystè­re de son sou­hait de voir con­ver­ger la pre­miè­re Église dans la secon­de, à l’enseigne d’une sym­bio­se tota­le­ment ukrai­nien­ne et anti­rus­se entre le trô­ne et l’autel.

Même le vieux patriar­che Philarète deman­de une uni­fi­ca­tion, en pro­po­sant un con­ci­le panor­tho­do­xe ukrai­nien qui opte pour une plei­ne indé­pen­dan­ce poli­ti­que et spi­ri­tuel­le de l’Église natio­na­le.

Des intel­lec­tuels renom­més tels que Sergiej Chapnin et le cen­tre d’études ecclé­sia­sti­ques CEMES de Salonique s’engagent éga­le­ment en faveur de l’unité entre les Églises ortho­do­xes. Sans par­ler du patriar­che œcu­mé­ni­que de Constantinople, Bartholomée, l’adver­sai­re de rang le plus éle­vé du patriar­cat de Moscou.

Mais beau­coup crai­gnent que l’échec d’un tel pro­ces­sus d’unification libre­ment déci­dé par les Églises ukrai­nien­nes n’ouvre la voie à une uni­té impo­sée par le gou­ver­ne­ment de Kiev. À moins qu’un autre acteur n’intervienne pour don­ner une impul­sion posi­ti­ve à l’unification, quelqu’un d’étranger aux dispu­tes intra-orthodoxes, c’est-à-dire l’Église grecque-catholique d’Ukraine.

En effet, cet­te Église grecque-catholique sou­tient depuis long­temps une pro­po­si­tion uni­tai­re que l’archevêque majeur de l’époque, Lubomyr Husar, avait décrit com­me suit en 2008 dans la revue « Il Regno » : « Ce que nous sou­hai­tons, dési­rons et nous effo­rçons de fai­re, c’est de favo­ri­ser le retour à l’unité ance­stra­le de l’Église à Kiev. Ceci requiert avant tout un chef uni­que, un uni­que patriar­che, com­me tou­jours pour les Églises orien­ta­les. Et nous, grecs-catholiques, vou­drions que ce patriar­che soit en plei­ne com­mu­nion avec le suc­ces­seur de Pierre, tout en lais­sant aux com­mu­nau­tés ortho­do­xes la lati­tu­de de con­ser­ver leurs réfé­ren­ces cano­ni­ques et spi­ri­tuel­les ».

L’archevêque majeur Chevtchouk iden­ti­fie l’origine histo­ri­que de cet­te uni­fi­ca­tion au syno­de de Brest de 1595, dans lequel « l’Église d’Ukraine tout entiè­re, en union avec son métro­po­li­te, a réaf­fir­mé la com­mu­nion avec Rome, dans la for­me dont on a con­ser­vé la mémoi­re à Kiev pen­dant tout le pre­mier mil­lé­nai­re, la mémoi­re d’une Église indi­vi­se, avant le schi­sme de 1054 », et com­me alter­na­ti­ve au patriar­cat de Moscou nais­sant, qui à l’époque « ne repré­sen­tait pas un cen­tre spi­ri­tuel et reli­gieux tra­di­tion­nel­le­ment recon­nu ».

Mgr Chevtchouk a con­sa­cré un livre-entretien à cet­te recon­struc­tion histo­ri­que et à ce qui pour­rait être aujourd’hui un retour à l’unité, il s’intitue « Dimmi la veri­tà », il est sor­ti en 2018 et Settimo Cielo en avait publié les trai­ts essen­tiels :

> Guerres de reli­gion. Pourquoi en Ukraine les plus œcu­mé­ni­ques sont les grecs-catholiques

Il est dif­fi­ci­le de dire si ce retour œcu­mé­ni­que à l’unité trou­ve­ra un écho en Ukraine. Certes, au niveau con­cret, Mgr Chevtchouk est tota­le­ment soli­dai­re de la ripo­ste héroï­que, et notam­ment mili­tai­re, de sa patrie con­tre l’agression rus­se, et est en dia­lo­gue réci­pro­que et respec­té avec les Églises ortho­do­xes de son pays, tout en étant pour sa part en com­mu­nion avec Rome sans rien con­cé­der aux excès monar­chi­ques du pri­mat papal.

Un rêve dif­fi­ci­le mais pas impos­si­ble. Pendant que dans le camp de l’orthodoxie, Moscou et Constantinople sont au bord du schi­sme, avec com­me épi­cen­tre la frac­tu­re en Ukraine, c’est peut-être juste­ment dans ce pays mar­ty­ri­sé que pour­rait s’ouvrir un che­min d’unité chré­tien­ne qui don­ne­rait une leçon au mon­de entier.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 2/01/2023