Duels au Vatican. Becciu réplique aux estocades du cardinal Pell

(s.m.) Je reçois et je publie. La note qui suit, riche en infor­ma­tions iné­di­tes, con­te­ste point par point les cri­ti­ques lan­cées par le car­di­nal George Pell au car­di­nal Giovanni Angelo Becciu, qui ava­ient été relayées dans l’article de Settimo Cielo du 23 novem­bre der­nier. Mais elle ne fait que s’ajouter à la mas­se gigan­te­sque de docu­men­ts et de dépo­si­tions en pos­ses­sion de l’accusation et de la défen­se, au pro­cès de Becciu et d’autres accu­sés qui est en cours au Vatican, et dont la pro­chai­ne audien­ce a été fixée au 14 décem­bre 2021.

*

BUREAU D’AVOCATS VIGLIONE
Rome, via Fulcieri Paulucci de’ Calboli 44

À M. Sandro Magister,
Directeur de Settimo Cielo

Objet : Article « Le pro­cès sur les affai­res trou­bles au Vatican a un con­vi­ve de pier­re : le car­di­nal Pell » du 23 novem­bre 2021 – Demande de rec­ti­fi­ca­tion

Monsieur le Directeur,

Je vous écris au nom et pour le comp­te de Son Éminence Révérendissime le Cardinal Giovanni Angelo Becciu, qui me man­da­te expres­sé­ment à cet­te fin, pour vous signi­fier ce qui suit.

En réfé­ren­ce à l’article en objet, en rai­son de la lar­ge pla­ce qui a été con­sa­crée aux réci­ts du Cardinal Pell con­cer­nant la per­son­ne de Son Éminence, et la dif­fu­sion rela­ti­ve qui s’en est sui­vie auprès d’un public vaste et infor­mé, il s’avère néces­sai­re de signa­ler plu­sieurs poin­ts cri­ti­qua­bles qu’ils con­tien­nent et qui, en tant que tels, appel­lent des cor­rec­tions.

En effet, vos nom­breux lec­teurs, soi­gneu­se­ment infor­més des déba­ts publics en matiè­re ecclé­sia­sti­que, méri­tent le respect de la véri­té des fai­ts, qui a jusqu’à pré­sent été com­pro­mi­se par ce qui a été écrit et que ce qui va sui­vre pour­ra con­tri­buer à réta­blir.

Les inju­sti­ces bien con­nues dont le Cardinal Pell a été vic­ti­me, et sa dou­leur méri­te tout notre respect, ne peu­vent cepen­dant aller jusqu’à fai­re des pro­cès d’intentions inju­sti­fiés dans les fai­ts au détri­ment du car­di­nal Becciu. En ce sens, Son Éminence vous fait savoir qu’il a don­né man­dat à sa défen­se afin de défen­dre en justi­ce son hon­neur et son inno­cen­ce con­tre ces asser­tions infon­dées, et d’autres, si elles n’étaient pas rapi­de­ment rec­ti­fiées.

Ainsi donc, nous sou­hai­tons en par­ti­cu­lier appor­ter un rec­ti­fi­ca­tif sur les poin­ts sui­van­ts :

1. « Le car­di­nal Becciu est dif­fé­rent de la plus gran­de par­tie des autres per­son­na­li­tés vati­ca­nes impli­quées dans des affai­res finan­ciè­res, qui restent à cou­vert et se tai­sent jusqu’à ce que ces­sent les rafa­les d’artillerie, avant de repren­dre leur peti­te vie habi­tuel­le ».

Dans les peti­tes et les gran­des admi­ni­stra­tions finan­ciè­res que le Cardinal Becciu a eu l’honneur de gérer au ser­vi­ce de l’Église et du Saint-Père, il l’a tou­jours fait avec le plus haut sens du devoir, dans un pro­fond esprit de ser­vi­ce et avec une inté­gri­té mora­le abso­lue. En ce sens, il est pro­fon­dé­ment offen­sant que le Cardinal Pell éta­blis­se une com­pa­rai­son avec ces soi-disant « per­son­na­ges » qu’il men­tion­ne.

2. « les sta­tu­ts de notre Secrétariat [pour l’Économie] nous con­fé­ra­ient expli­ci­te­ment l’autorité « to super­vi­se », con­trô­ler, tous les comp­tes du Vatican, y com­pris ceux de la Secrétairerie d’État : et notre appro­ba­tion était néces­sai­re notam­ment pour tou­te acqui­si­tion de pro­prié­tés au-delà de 500.000 euros ».

Les sta­tu­ts du S.P.E. ont été approu­vé le 22 février 2015 et il n’avait aucun pou­voir rétroac­tif, enco­re moins con­cer­nant les actes posés anté­rieu­re­ment par la Secrétairerie d’État qui, con­trai­re­ment à ce qu’affirme le Cardinal Pell, a tou­jours joui, sur base de la Constitution apo­sto­li­que « Pastor Bonus », d’une gran­de auto­no­mie juri­di­que et finan­ciè­re par rap­port à tous les Dicastères de la Curie romai­ne.

Et ces sta­tu­ts spé­ci­fient pré­ci­sé­ment, à l’art. 3 § 1, que « le Secrétariat pour l’Économie agit en col­la­bo­ra­tion avec la Secrétairerie d’État », affir­mant ain­si une pari­té des deux orga­ni­smes et démen­tant tou­te fonc­tion de con­trô­le de la pre­miè­re sur la secon­de, qui n’a jamais exi­sté.

La Secrétairerie d’État gérait un Fonds Souverain auto­no­me – qui n’a en rien été créé par le Cardinal Becciu, mais qui remon­te à l’époque de Paul VI -, con­nu des supé­rieurs, et donc les sub­sti­tu­ts pré­sen­ta­ient des comptes-rendus seme­striels.

Son Éminence entend infor­mer qu’il n’a jamais reçu l’instruction de ses supé­rieurs de pré­sen­ter des comptes-rendus au Cardinal Pell ; et il res­sort que jamais le Cardinal Pell n’a obte­nu de tels comptes-rendus de la part Cardinal Secrétaire d’État, au cours de leurs entre­vues heb­do­ma­dai­res. Tout sim­ple­ment, la Secrétairie d’État jouis­sait d’une auto­no­mie finan­ciè­re tota­le, qui n’a jamais été mise en cau­se.

Au con­trai­re, quel­ques mois après l’entrée en vigueur de ces sta­tu­ts, en rai­son des nom­breu­ses fail­les juri­di­ques qu’il pré­sen­ta­ient, une com­mis­sion, nom­mée par le Saint-Père et pré­si­dée par le Cardinal De Paolis ont abou­ti à la publi­ca­tion, le 4 juil­let 2016, du Motu Proprio « I beni tem­po­ra­li » qui défi­nis­sait mieux le péri­mè­tre d’action de la S.P.E., et donc le con­trô­le des biens admi­ni­strés par l’A.P.S.A., et donc – enco­re une fois -, à l’exclusion de la Secrétairerie d’État.

3. « Mais en plus de réfu­ter ces affir­ma­tions, le car­di­nal Pell accu­se Becciu d’être le plus irré­duc­ti­ble oppo­sant à tou­te for­me de super­vi­sion de la part du Secrétariat pour l’Économie – insti­tué en 2014 par le Pape François et pré­si­dé par Pell lui-même – sur les comp­tes de la Secrétairerie d’État. L’acquisition de l’immeuble de Londres n’aura été que l’une des cau­ses de con­flit, mais elle n’était pas la seu­le ».

Il con­vient avant tout de pré­ci­ser que ce n’est pas sous gestion du Cardinal Becciu, que l’acquisition de l’Immeuble de Londres a été réa­li­sée mais que des pla­ce­men­ts ont été réa­li­sés sur ce der­nier et pour autant, Son Éminence affir­me ne pas se rap­pe­ler de con­fli­ts à ce sujet. Il se rap­pel­le tou­te­fois que le Cardinal Pell avait été infor­mé de ces opé­ra­tions à tra­vers une inspec­tion effec­tuée par le Réviseur Général, sans que par la sui­te aucun docu­ment cri­ti­quant cet­te opé­ra­tion ne par­vien­ne à la Secrétairie d’État de la part des ser­vi­ces con­cer­nés.

Le Cardinal regret­te la descrip­tion selon laquel­le la Secrétairie d’État se serait farou­che­ment oppo­sée à la super­vi­sion du Secrétariat pour l’Économie ou, plus géné­ra­le­ment, aux réfor­mes mises en œuvre par ce der­nier. Du fait des incer­ti­tu­des juri­di­ques con­cer­nant les pou­voir du nou­vel orga­ni­sme de con­trô­le, les com­pé­ten­ces de ce Dicastère n’ont jamais été clai­res. Le rôle du Substitut était celui d’appliquer les règles en vigueur et non d’exécuter des ordres du Préfet du S.P.E. qui n’é­ta­ient pas pré­vus par la régle­men­ta­tion.

Concernant la bon­ne volon­té de col­la­bo­ra­tion avec le Cardinal Pell et ses ser­vi­ces, Son Éminence rap­pel­le que le Cardinal Secrétaire d’État, au début de l’année 2014, lui avait deman­dé de char­ger l’Assesseur de la Secrétairerie d’État, Mgr Peter Wells, de pré­pa­rer un docu­ment deman­dé par le Cardinal Pell. Son Éminence a exé­cu­té cet ordre avec dili­gen­ce, tout com­me il n’a pas man­qué de répon­dre à d’autres deman­des écri­tes.

4. « Le Substitut de la Secrétairie d’État a annu­lé la révi­sion comp­ta­ble exter­ne et a con­traint l’auditeur à démis­sion­ner ».

Le Cardinal Becciu, en rap­pe­lant les pré­cé­den­ts démen­tis publiés à ce sujet, réaf­fir­me la faus­se­té de tel­les recon­struc­tions, et affir­me qu’elle a été annu­lée par le Secrétaire d’État et non par le Substitut.

Quant à l’accusation d’avoir con­traint le Réviseur à démis­sion­ner, Son Éminence infor­me qu’il sera dans l’obligation d’intenter une action en justi­ce, étant don­né le carac­tè­re tout bon­ne­ment men­son­ger d’une tel­le recon­struc­tion, affir­mée à plu­sieurs repri­ses par le Cardinal Pell. À ce sujet, il rap­pel­le que dans tou­te cet­te affai­re, son rôle s’est limi­té, sur base des ordres reçus, à deman­der au Réviseur de démis­sion­ner. Face à son refus, il l’a invi­té, tou­jours con­for­mé­ment aux instruc­tions qui lui ava­ient été don­nées, à se pré­sen­ter au com­man­dant de la Gendarmerie.

On se réfé­re­ra, pour remet­tre cet­te affai­re dans son con­tex­te, au Communiqué de la Salle de pres­se du 24 sep­tem­bre 2017 (1) où, en ter­mes uni­vo­ques et offi­ciels, l’on affir­me la rai­son d’une tel­le inter­rup­tion de col­la­bo­ra­tion, en espé­rant que ce qui a été affir­mé par la voix insti­tu­tion­nel­le du Saint-Siège pour­ra défi­ni­ti­ve­ment resti­tuer aux lec­teurs la véri­té histo­ri­que sur ce point, en empê­chant tou­te autre recon­struc­tion, démen­tie par le compte-rendu offi­ciel.

5. « Le tout a été rap­por­té en détails par Settimo Cielo dans l’article sui­vant, y com­pris le sou­tien que le Pape François a appor­té à Becciu pour chas­ser Milone et pour fai­re bloc con­tre le car­di­nal Pell, qui avait déjà été, dans les fai­ts, pri­vé de ses pou­voirs avant enco­re de devoir ren­trer en Australie pour com­pa­raî­tre au pro­cès où il était mis en cau­se ».

Son Éminence pré­ci­se qu’il ne s’agissait pas de « sou­tien que le pape François a appor­té à Becciu » mais, com­me on l’a rap­pe­lé, d’une mis­sion spé­ci­fi­que qui lui a été con­fiée et qu’il a exé­cu­tée fidè­le­ment.

6. «Et il com­men­te : “L’histoire devien­dra enco­re plus inté­res­san­te si Mgr Perlasca se déci­dait à par­ler”».

Son Éminence rap­pel­le, avec fer­me­té et le plus grand respect pour le tri­bu­nal, qu’il n’a pas l’intention de remet­tre en cau­se la recon­struc­tion des fai­ts et des cir­con­stan­ces qui con­cer­nent le pro­cès en cours par des anti­ci­pa­tions à d’autres instan­ces ; il fera appel aux instan­ces insti­tu­tion­nel­les au moment oppor­tun.

Il tient cepen­dant à pré­ci­ser que les atten­tes du Cardinal Pell seront démen­ties, en rap­pe­lant enco­re une fois son inno­cen­ce abso­lue par rap­port à tou­te pré­ven­tion.

7. « C’est le refus de l’IOR de col­la­bo­rer à four­nir 150 mil­lions d’euros sup­plé­men­tai­res [à la Secrétairerie d’État] pour l’achat désa­streux de l’immeuble dans le quar­tier chic de Chelsea à Londres qui a récem­ment fait écla­ter l’affaire. Cela m’a fait plai­sir d’apprendre que c’est le Saint-Père en per­son­ne qui a non seu­le­ment auto­ri­sé les « irrup­tions » à la Secrétairerie d’État et dans les bureaux de l’AIF ».

Le Cardinal entend sou­li­gner que dans ce pas­sa­ge, l’auteur omet de rap­pe­ler au lec­teur qu’à cet­te épo­que, il n’était déjà plus Substitut aux Affaires Générales et que cet­te deman­de finan­ciè­re à l’Institut des Œuvres de Religion a été fai­te par d’autres.

8. « Il est un fait que le coup de grâ­ce pour la Secrétairerie d’État est ensui­te tom­bé le 28 décem­bre 2020 sur ordre du Pape François, avec le trans­fert for­cé à l’APSA de tout son pac­to­le, c’est-à-dire d’une bon­ne par­tie de ces 1,4 mil­liards d’euros que le car­di­nal Pell – pen­dant les quel­ques mois où, au début du pon­ti­fi­cat, il avait pu agir plei­ne­ment sur man­dat du Pape pour fai­re le ména­ge – avait décou­vert hors des bilans offi­ciels du Vatican ».

Son Éminence entend pré­ci­ser à ce pro­pos que les som­mes gérées par la Secrétairerie d’État se trou­va­ient bien « hors des bilans du Vatican », mais que cela n’était pas syno­ny­me de gestion illi­ci­te, com­me s’il s’agissait d’une « cais­se noi­re », étant don­né qu’elles éta­ient con­nues par les Supérieurs hié­rar­chi­ques qui éta­ient pério­di­que­ment infor­més par des comptes-rendus de la part du Substitut.

Avec la fer­me con­vic­tion que vous accor­de­rez le même espa­ce à ces rec­ti­fi­ca­tions qui s’imposent, étant don­né votre répu­ta­tion de pro­fes­sion­na­li­sme et votre atten­tion, je vous prier d’accepter mes salu­ta­tions distin­guées.

Me Fabio Viglione

Rome, le 23 novem­bre 2021

*

(1) https://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2017/09/24/0630/01385.html

———

Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

Share Button

Date de publication: 7/12/2021