« Au Soudan du Sud, la tribu des Dinka est la plus touchée par l’esclavage ». Rappel pour le prochain voyage du Pape

À cause de ses soucis de santé, le Pape François a dû annuler son voyage au Liban. Mais il a maintenu celui du 2 au 7 juillet en RDC, avec étapes à Kinshasa et Goma, et ensuite au Soudan du Sud, avec un arrêt à Djouba.

Il a d’ailleurs confirmé à quel point il tenait à cette dernière destination en recevant, le 13 mai dernier, la Commission internationale anglicano-catholique dont le responsable, l’archevêque de Canterbury Justin Welby, et le modérateur de l’Église d’Écosse, voyageront avec le Pape. « Prions – a-t-il dit – afin que ce pèlerinage œcuménique de paix inspire les chrétiens du Soudan du Sud et du monde à être des promoteurs de réconciliation, des artisans de concorde, capables de dire non à la spirale perverse et inutile de la violence et des armes. Je rappelle que ce chemin a débuté il y a des années par une retraite spirituelle effectuée ici, au Vatican, avec les dirigeants du Soudan du Sud. »

Tous se rappellent cette retraite spirituelle insolite, en avril 2018, des chefs des deux factions en guerre, conclue par le Pape par le baisement de leurs pieds (voir photo). Un geste malheureusement suivi par une recrudescence du conflit entre les tribus respectives des Dinka et des Nuer, toutes deux de religion catholique.

En effet, que ce soit dans la région orientale du Congo ou au Soudan du Sud, des guerres tribales féroces font rage depuis des années, faisant des milliers de victimes. L’ambassadeur italien au Congo, Luca Attanasio, a d’ailleurs été assassiné le 22 février 2021 à quelques kilomètres à peine de l’endroit où le Pape François se rendra, à Goma. Et le 25 avril suivant, le nouvel évêque de la ville à peine nommé, le missionnaire italien Christian Carlassare, tombait dans une embuscade à Rumbek, au Soudan du Sud, victime d’une agression par balles perpétrée par le prêtre et coordinateur diocésain John Mathiang – qui sera arrêté et condamné – et par un groupe de laïcs en responsabilité du le diocèse, tous furieux que le nouvel évêque n’appartiennent pas à leur tribu.

Mgr Carlassare, malgré qu’il ne se soit pas encore remis de ses graves blessures, a annoncé qu’il se rendra à pied de Rumbek à Djouba pour rencontrer le Pape, après des jours et des jours de marche en compagnie d’une centaine de jeunes du diocèse, dans la boue de la saison des pluies et par des routes peu sûres à cause des bandes armées.

C’est donc sans aucun doute la paix qui est la destination idéale du voyage de François dans ces deux pays africains.

Mais il n’est pas exclu que le Pape porte la même attention à un autre fléau, l’esclavage, qui est largement répandu sous ses formes modernes au Congo comme au Soudan du Sud.

Ces derniers jours, la revue « Vita e Pensiero » de l’Université catholique de Milan a publié l’article d’une spécialiste, Beatrice Nicolini, professeur d’histoire de l’Afrique et de relations internationales qui, après avoir résumé l’histoire de l’esclavage dans le continent noir, avec ses heures les plus cruelles dans le Congo sous domination coloniale belge, montre combien ce fléau sévit encore aujourd’hui, surtout parmi les femmes et les enfants.

La partie finale de son essai, celle qui est consacrée à l’actualité avec une attention particulière au Congo et au Soudan du Sud, est reproduite ci-dessous.

Mais il est utile de préciser que la semaine dernière, le pape François a rencontré et apporté son soutien au Santa Marta Group, fondé en 2014 et présidé par le cardinal et archevêque de Westminster Vincent Nichols, qui a réuni pendant trois jours au Vatican des chefs de la police, des organisations gouvernementales et des experts de plusieurs pays dans le but de renforcer la lutte contre les formes modernes d’esclavage.

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Esclavage et esclavagisme en Afrique : blessures ouvertes

de Beatrice Nicolini

(dans « Vita e Pensiero », mars-avril 2022)

Ce sont principalement les conflits et l’économie qui sont encore aujourd’hui à l’origine de la diffusion de l’esclavage dans le monde. Le passage de l’esclavage à l’esclavagisme et au « trafic d’êtres humaine » nous conduit à identifier certaines grandes zones d’Afrique, les nouveaux parcours, où ce genre de discrimination et de violence sont pratiquées et sont largement répandues, et font même partie des sociétés locales.

La première est l’Afrique méditerranéenne, où de nombreux représentants gouvernementaux participent, parfois même activement, au trafic et à l’exploitation d’êtres humains.

Plus au sud, le Soudan et la Mauritanie sont des pays dans lesquels les conflits fréquents et les coups d’État ont réduit des centaines de milliers de personnes dans des conditions proches de l’esclavage, en majorité des groupes non blancs et de religion non musulmane. En Mauritanie seulement, environ un million d’esclaves appartiennent à un maître et font office de dot dans les contrats de mariage (la Mauritanie a décrété l’abolition de l’esclavage en 1981 mais la législation n’a été adaptée qu’en 2015).

À Madol, au Soudan du Sud, dans les années 1990, un marchand arabe a vendu 132 esclaves, hommes, femmes et enfants, pour un totale de 13.200 dollars américains payés par un membre d’une organisation internationale pour la solidarité chrétienne. Aujourd’hui encore, dans cette région, il est possible d’acheter un enfant à sa famille d’origine et de le revendre en faisant un bon profit. Et au Soudan du Sud, précisément, c’est le groupe des Dinka qui est surtout victime du trafic d’êtres humains. Ici, la majorité des razzias vise à acquérir des enfants à des fins d’exploitation militaire et sexuelle pour les milices rebelles. Cette pratique se déroule dans la région méridionale du pays, aux frontières avec l’Ouganda, le Kenya et l’Éthiopie, une région traditionnellement noire et non-musulmane.

En Afrique occidentale, au Sénégal, l’Unicef a estimé qu’environ 20.000 enfants entre 9 et 12 ans sont réduits en esclavage chaque année. Au Liberia, le phénomène de l’exploitation des mineurs se poursuit.

En Afrique orientale, dans la Corne de l’Afrique, de nombreux enfants sont achetés par les pays arabes pour les courses de chameaux, et de nombreuses jeunes femmes en tant qu’amantes « exotiques ». Ici, les femmes africaines sont considérées comme parmi les plus belles du monde et sont connues pour leur « douceur », très appréciée par les Arabes et par les Centre-Asiatiques. Une Africaine avenante peut arriver à valoir jusqu’à 10.000 dollars américains : elle est droguée et utilisée à des fins sexuelles, et généralement son espérance de vie dans de telles conditions ne dépasse pas deux ans.

En Afrique équatoriale, on retrouve l’esclavage dans l’agriculture et les mines de la RDC et dans les États frontaliers. Dans le Nord de l’Ouganda, on essaye d’amener le plus grand nombre possible d’enfants de nuit dans des hôpitaux et dans des lieux protégés par des hommes armés pour qu’ils ne soient pas enlevés pour devenir des enfants soldats. La doctoresse Colette Kitoga (diplômée de l’Université Catholique – Polyclinique « Gemelli » de Rome), directrice du centre de réhabilitation des enfants-soldats « Mater Misericordiae » de Bukavu, en RDC, raconte que « ses » enfants – plus de 3.000 depuis 1997, date de la création du centre, jusqu’à aujourd’hui – ne lèvent jamais les yeux : ils sont persuadés que de cette manière, s’ils devaient assister à un homicide ou à des violences, ils ne seront pas accusés et persécutés en tant que témoins gênants.

En Tanzanie, l’exploitation des enfants concerne les mines de diamant, de coltan – minerai fondamental pour les composants d’ordinateurs et de téléphones portables – et de tanzanite. Cette dernière est une pierre semi-précieuse, d’une couleur bleu-violette intense et très lumineuse, unique dans le monde entier, et très recehrchée. La tanzanite a été découverte par les Masaï au Kenya et sa valeur est aujourd’hui équivalente à celle des diamants ; on trouve ces pierres à proximité du mont Kilimandjaro et les enfants creusent toute la journée avec leurs petites mains. On les fait descendre jusqu’à trois cents mètres de profondeur avec des systèmes de ventilation insuffisants. Les enfants peuvent se déplacer plus facilement dans ces boyaux étroits et les parents encouragent leurs enfants à travailler dans les mines parce qu’il n’y a pas d’écoles près des centres d’extraction.

Dans les mines d’Afrique du Sud, de nombreux travailleurs ne peuvent voir leurs familles qu’une fois par an. Les conditions d’isolement et d’aliénation mènent inévitablement à la prolifération de phénomènes tels que l’alcoolisme, la toxicomanie ainsi que de maladies à haut risque, telles que la tuberculose et le SIDA. Les phénomènes migratoires de travailleurs provenant du Mozambique, du Zimbabwe, du Botswana et du Lesotho vers les principaux centres miniers d’Afrique du Sud provoquent souvent des incidents de rivalité entre groupes. Pour les mineurs qui meurent sur leur lieu de travail, une pension pour leurs veuves serait prévue mais rares sont ceux qui parviennent à l’obtenir à cause des insurmontables difficultés bureaucratiques – depuis le Mozambique, il faut un permis de séjour pour l’Afrique du Sud – logistiques et économiques.

Ces quinze dernières années, plus de 10.000 mineurs mozambicains sont morts en Afrique du Sud. La fin de l’apartheid a généré de modestes mais significatifs projets de construction de petites habitations à proximité des mines pour les familles des travailleurs, précisément pour réduire le taux de mortalité à cause du SIDA, et rendre les conditions de travail de ces derniers moins impitoyables. Il est vrai qu’en Afrique australe, les conditions socio-politiques sont différentes par rapport au reste du continent ; l’exemple de l’Afrique du Sud a contribué à la diffusion médiatique de cas dramatiques et, dans certains cas, à leur diminution.

Sandro Magister est vaticaniste à L’Espresso.

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Date de publication: 26/05/2022