Le général des jésuites conduit l'armée des historicistes

Sandro Magister a reçu ce com­men­tai­re au sujet de l'article pré­cé­dent dans lequel le Général des jésui­tes pré­ten­dait — dans une inter­view qu'il a lui-même authen­ti­fiée – que même les paro­les de Jésus doi­vent être pas­sées au cri­ble d'un "discer­ne­ment" per­ma­nent.

L'auteur est diplo­ma­te à l'Institut des Sciences Religieuses de Trieste et s'est tout par­ti­cu­liè­re­ment con­sa­cré à l'étude de la théo­lo­gie de Saint Bonaventure de Bagnoregio.  Il écrit pour "Vita Nuova", l'hebdomadaire du dio­cè­se de Parme.

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Le général des jésuites conduit l'armée des historicistes

par Silvio Brachetta 

Avec Arturo Sosa Abascal, le nou­veau supé­rieur géné­ral de la Compagnie de Jésus, nous avons la démon­stra­tion que la théo­lo­gi­que catho­li­que est bou­le­ver­sée par l'historicisme.

C'est Sandro Magister qui nous l'a con­fir­mé de façon indi­rec­te en rap­por­tant entre autres ce que Sosa avait décla­ré au cours d'une inter­view : "Déjà, nous pour­rions enta­mer une bel­le réfle­xion sur ce que Jésus a vrai­ment dit.  A l'époque, per­son­ne n'avait d'enregistreur pour col­lec­ter ses paro­les.  Ce que l'on sait, c'est qu'il faut remet­tre les paro­les de Jésus dans leur con­tex­te, elles sont expri­mées avec un lan­ga­ge et dans envi­ron­ne­ment pré­cis et elles s'adressent à un public en par­ti­cu­lier."

Ces décla­ra­tions de Sosa s'inscrivent dans série inter­mi­na­ble de rai­son­ne­men­ts simi­lai­res de la part d'auteurs divers et variés.

La thè­se est ancien­ne mais elle revient sans ces­se : les Ecritures devra­ient fai­re l'objet d'une exé­gè­se con­ti­nue par­ce qu'on ne pour­ra jamais en don­ner une inter­pré­ta­tion défi­ni­ti­ve.

Autrement dit, selon une cer­tai­ne théo­lo­gie hété­ro­do­xe, l'Ecriture serait une sor­te de chan­tier archéo­lo­gi­que per­ma­nent dans lequel le tex­te doit être dis­sé­qué sans relâ­che dans une quê­te inces­san­te de la "vra­ie" Parole de Dieu.  Il s'agit d'une ana­ly­se per­pé­tuel­le et fré­né­ti­que des sour­ces à la recher­che d'une véri­té tou­jours plus authen­ti­que, suscep­ti­ble de rem­pla­cer cet­te véri­té actuel­le qui insup­por­te à l'exégète insa­ti­sfait.

Cette "vra­ie" Parole,  qu'une lar­ge fran­ge du pro­te­stan­ti­sme et du catho­li­ci­sme moder­ni­ste cher­che à tra­vers la cri­ti­que des tex­tes, serait enco­re cachée dans les recoins des tex­tes sacrés mais cepen­dant défec­tueux pui­sque for­més de mots humains.  Or les mots humains sont impar­fai­ts par défi­ni­tion et sont suje­ts aux varia­tions des modes et de l'histoire.

Il est sans dou­te super­flu de signa­ler qu'à de nom­breu­ses repri­ses, le magi­stè­re a dénon­cé l'incohérence de cet­te lec­tu­re histo­ri­ci­ste, sans beau­coup de résul­ta­ts.  En effet, celui qui con­si­dè­re que les mots de l'Ancien et du Nouveau Testament sont vagues alors qu'ils vien­nent de Dieu prê­te­ra d'autant moins d'importance au magi­stè­re qui est, pour l'essentiel, une expres­sion humai­ne.  Pour la même rai­son, il n'accordera pas non plus gran­de impor­tan­ce aux paro­les inspi­rées des Saints, des Docteurs et des Pères de l'Eglise qui réfu­tent l'interprétation pro­gres­si­ste de l'Ecriture.  Idem pour la tra­di­tion apo­sto­li­que, sou­vent con­si­dé­rée moins que rien par le con­te­sta­tai­re.  C'est ain­si que l'erreur de l'historicisme, bien loin d'avoir été démo­lie, est restée intac­te et plus for­te que jamais aujourd'hui enco­re.

L'historiciste moder­ne, au lieu d'argumenter son rai­son­ne­ment, répé­te­ra à qui mieux mieux que cha­que mot de la bible doit être remis dans son con­tex­te, dans un milieu bien pré­cis, qu'il faut la rela­ti­vi­ser par rap­port à son envi­ron­ne­ment, par rap­port à son épo­que, par rap­port à un cer­tain lan­ga­ge.  En pro­cé­dant de la sor­te, on ôte tou­te valeur au dog­me dans sa capa­ci­té à pou­voir fixer la véri­té une fois pour tou­tes.  Ce n'est qu'avec une cer­tai­ne dose de mau­vai­se foi que l'on peut décla­rer com­me Sosa qu'il "faut enta­mer une bel­le réfle­xion sur ce que Jésus a vrai­ment dit".  Il ne peut en effet igno­rer qu'une tel­le réfle­xion n'a jamais ces­sé d'accompagner tou­te l'histoire du chri­stia­ni­sme, par­ti­cu­liè­re­ment depuis Saint Jérôme.

La véri­té c'est que "ce qu'a vrai­ment dit Jésus", ou Moïse, ou Abraham n'a jamais été un pro­blè­me pour les sain­ts ni pour la majo­ri­té des fidè­les.  Pour le fidè­le, tout est écrit et ce qui n'est pas écrit, il le trou­ve chez un con­fes­seur, un frè­re  ou un pré­di­ca­teur.  Naturellement, l'Eglise n'a jamais écar­té la recher­che phi­lo­lo­gi­que ou scien­ti­fi­que sur les tex­tes sacrés mais ce qu'elle a tou­jours écar­té, c'est la pri­mau­té de la scien­ce sur la foi.  Autrement dit, la scien­ce ne don­ne rai­son à la foi et à l'espérance du chré­tien que là où la foi est déjà pré­sup­po­sée.

Il y a enco­re une autre que­stion.  C'est en géné­ral une bon­ne cho­se de com­men­ter les tex­tes sacrés, par exem­ple dans le con­tex­te de la pré­pa­ra­tion d'une homé­lie ou pour une étu­de systé­ma­ti­que de la théo­lo­gie.  Dans d'autres cas, cepen­dant, l'Ecriture doit être pri­se à la let­tre, "sine glos­sa".  L'exemple sans dou­te le plus con­nu se trou­ve chez François d'Assise qui a pré­ci­sé­ment décou­vert sa pro­pre voca­tion en obéis­sant à l'Evangile de Marc 10, 21 : "Va,  ce que tu as, vends-le et donne-le aux pau­vres, et tu auras un tré­sor dans le ciel ; puis, viens, suis-moi."  C'est-ce qu'il avait lu et c'est ce qu'il a fait.

Il y a une autre rai­son pour laquel­le les affir­ma­tions de Sosa sont inter­pel­lan­tes.  C'est un jésui­te, com­me l'est éga­le­ment le pape François.  Or, ce même pape décla­rait lors d'une allo­ca­tion aux supé­rieurs des ordres reli­gieux du 25 novem­bre 2016 que "pro­phé­ti­ser de façon radi­ca­le c'est ce fameux 'sine glos­sa', la règle 'sine glos­sa", l'Evangile "sine glos­sa'" et il avait ajou­té : "Il faut pren­dre l'Evangile sans cal­man­ts.  C'est ain­si qu'on fait nos fon­da­teurs."

Il n'est pas évi­dent de com­pren­dre ce que le Pape enten­dait par l'expression "sans cal­man­ts" mais la réfé­ren­ce à la récep­tion "sine glos­sa" fai­te par les fon­da­teurs de la Compagnie de Jésus est clai­re.  Si donc le même pape jésui­te con­seil­le de sui­vre l'Evangile sans com­men­tai­res, pour­quoi Sosa voudrait-il à nou­veau fai­re de la glo­se ?

Dans tous les cas, l'approche "sine glos­sa" de la Parole de Dieu exclut que le tex­te soit dis­sé­qué sans limi­te à moins que l'approfondissement de l'étude ne l'exige.  C'est le cas, par exem­ple, des "Moralia in Job" de Saint Grégoire le Grand dans lequel le Livre de Job est scru­té mot à mot, ver­set par ver­set pour en extrai­re le sens lit­té­ral, moral, ana­lo­gi­que et ana­go­gi­que.  Mais dans tous les cas, le fil rou­ge, le pri­sme de lec­tu­re, c'est bien le sens lit­té­ral auquel tous les autres sens, bien que plus pro­fonds, se réfè­rent.

Le sens lit­té­ral est donc ce qui per­met de déter­mi­ner la véri­té d'un tex­te, y com­pris d'un tex­te sacré.  Et si la "let­tre" est déjà fai­ble, com­ment pourrait-elle être for­mer sous-tendre les sens plus pro­fonds, voi­re la Parole de Dieu elle-même dans l'Ecriture ?

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Parmi les nom­breux autres com­men­tai­res qui ont fait sui­te aux décla­ra­tions du Général des jésui­tes, nous nous con­ten­te­rons de publier celui-ci, qui est nous par­ve­nu de Sun City Center, en Floride, sous la plu­me de Peter J. Brock :

"Le Pape, les pro­gres­si­stes et les Jésuites répon­dent à tou­tes les que­stions par le ter­me 'discer­ne­ment'.  L'Ancien Testament n'est-il rien d'autre qu'une fic­tion amé­lio­rée de l'histoire des Juifs ?  Le Nouveau Testament n'est-il qu'une col­lec­tion apo­cry­phes de la pen­sée de pseu­do­ny­mes évan­gé­li­ques ?  Qui était Jésus ?  Le Pape est-il en train d'ouvrir la boî­te de Pandore ?  Est-ce que c'est ain­si qu'il comp­te encou­ra­ger l'évangélisation ?  Ca me rap­pel­le la vieil­le ren­gai­ne 'Le Pape est-il catho­li­que?'.  Cinq que­stions de plus en atten­te de répon­se."

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L'Espresso

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