Depuis l’Orient, non pas la lumière mais les ténèbres. Étranges remplacements dans la Curie romaine

Fondée il y a un peu plus d’un siècle, la Congrégation pour les Églises catholiques orientales a le mandat de « favoriser la croissance » de ces Églises et de « maintenir vivantes et intègres » leurs traditions propres.

Mais, récemment, le double remplacement au sommet de cette congrégation semble contredire de manière flagrante ce mandat, si l’on se penche sur l’identité des deux nominés et sur les critères qui ont présidé à leur désignation.

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Le 25 février dernier, Mgr Giorgio Demetrio Gallaro (photo) a été nommé nouveau secrétaire de la Congrégation pour les Églises orientales. Âgé de 72 ans, il était jusqu’à présent l’évêque de Piana degli Albanesi, l’un des diocèses italiens de rite grec.

À Piana degli Albanesi, beaucoup ont accueilli son départ avec soulagement, parce que Mgr Gallaro ne s’est jamais illustré par son soutien des traditions orientales. Voici le portrait que dressait de lui www.chiesa dans un article de 2016 :

« Ce canoniste sicilien, ancien prêtre de rite latin avant d’émigrer pendant quelque temps aux États-Unis, ne parle pas l’albanais, il n’aime pas le grec et il cherche à imposer l’utilisation de l’italien. Sans se soucier des prescriptions liturgiques, il célèbre aussi la messe dans les églises latines de l’éparchie, en portant des ornements latins. Il a raccourci les liturgies byzantines solennelles de la semaine sainte, qui sont peut-être trop prolixes pour lui, mais auxquelles la population est très attachée. Progressivement, il éloigne de la petite ville qui est le chef-lieu de l’éparchie les prêtres de rite grec, dont certains sont mariés et pères de famille, et il les remplace par des prêtres latins. Il a également interrompu la série historique des ‘papàs’ italo-albanais qui desservaient l’église de la Martorana de Palerme, soumise à sa juridiction. »

Et à l’inverse, dans le monde plus large des Églises orientales, la nomination de Mgr Gallaro a été accueillie avec une déception compréhensible. Retrouver comme secrétaire un personnage qui non seulement est ouvertement latinisant mais qui de plus est né, a grandi et a été formé dans le rite latin, ce n’est pas un bon signal pour tous ceux qui attendent de cette congrégation un soutien appuyé aux traditions de l’Orient. Sa nomination a probablement été favorisée par son amitié avec Mgr Marcello Semeraro, l’évêque d’Albano que le Pape François a souhaité avoir à ses côtés dès le début de son pontificat, en tant que secrétaire des 9 cardinaux – aujourd’hui réduits à 6 – qui forment le haut conseil du Pape.

Quant à l’ancien secrétaire de la Congrégation pour les Églises orientales, l’archevêque Cyril Vasil, il a été renvoyé le 20 janvier dernier dans sa Slovaquie natale comme administrateur apostolique du diocèse de Kosice pour les catholiques de rite byzantin.

Mgr Vasil est jésuite, mais il n’est pas particulièrement cher au Pape François, surtout depuis qu’en 2015, pendant l’intervalle entre les deux synodes sur la famille, il se soit publiquement exprimé contre la communion aux divorcés-remariés.

Et effectivement, en guise de promotion, le nouveau rôle donné à Mgr Vasil a plutôt tout d’une rétrogradation. Son ambition était de retourner dans sa patrie en tant qu’archevêque majeur à la tête d’une nouvelle Église des ruthènes transnationale, dont le siège métropolitain aurait été situé à Prešov, et qui aurait rassemblé slovaques, croates et hongrois de rite grec-catholique avec un plus l’annexion d’un diocèse ukrainien, celui que Moukatchevo, lui aussi peuplé de ruthènes, pour un total d’environ 200.000 fidèles.

Ce projet était naturellement assez peu du goût de l’Église grecque-catholique d’Ukraine qui comptait plutôt sur la promotion de l’un de ses évêques à Rome, en tant que nouveau secrétaire de la Congrégation, Mgr Teodor Martynyuk, auxiliaire du diocèse grec-catholique de Ternopil.

Mais aucun de ces deux objectifs ne s’est réalisé. À la place de l’ukrainien Martynyuk – ou au moins d’un autre oriental – c’est un italien latinisant qui a été nommé secrétaire. Alors que que Mgr Vasil n’est pour le moment qu’administrateur provisoire d’un diocèse subordonné à Prešov, celui de Košice, dont l’évêque, Mgr Milan Chautur, est toujours en place, bien qu’il fasse l’objet d’une enquête de la part de la Congrégation pour la doctrine de la foi pour des accusations de violences sexuelles sur une mineure.

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Non moins problématique, la seconde nomination récente du nouveau sous-secrétaire de cette congrégation a été rendue publique le 3 février.

Là encore, c’est un italien qui a été nommé, l’abbé Flavio Pace, 42 ans, issu de l’archidiocèse de Milan et dépourvu de tout titre de compétence en matières orientales mis à part une vague « certification en islamologie », mais qui peut se prévaloir d’avoir été ces dernières années le secrétaire du Préfet de la Congrégation pour les Églises orientales, le cardinal argentin Leonardo Sandri.

Et là encore, cette nouvelle nomination marque un nouveau pas en arrière après le déclin déjà entamé par son prédécesseur, le P. Lorenzo Lorusso, un dominicain, très critiqué aussi bien au sein de la Curie que dans le milieu des Églises orientales, mais maintenu en place grâce au soutien du secrétaire de la Congrégation de l’époque, l’archevêque Vasil.

Tous deux étaient canonistes et tous deux ont enseigné le droit canon à l’Institut Pontifical Oriental. Et quand, le 15 septembre dernier, ils ont procédé à leur dernière fournée de consulteurs auprès de la congrégation, pas moins de 7 des 9 nominés étaient eux aussi des professeurs de droit canon, au grand dam des Églises orientales, qui se sont senties considérées comme un problème juridique plutôt qu’une richesse ecclésiologique.

Il est un fait que dès que l’éloignement de Rome de Mgr Vasil a commencé à se profiler, le sort du P. Lorusso a été scellé. Dans une lettre datée du 15 novembre 2019, à la date précise de l’échéance de son quinquennat de sous-secrétaire, il a reçu l’ordre de libérer son bureau et de retourner chez les dominicains des Pouilles d’où il était venu.

Le licenciement brutal à l’échéance d’un quinquennat est désormais la pratique adoptée par la Curie pour se libérer des personnes indésirables haut placées, comme cela s’est déjà passé à une autre échelle pour le cardinal Gerhard Müller, quand il a été démis de ses fonctions de Congrégation pour la doctrine de la foi.

Mais si les changements à venir sont à l’aune de ceux de la Congrégation pour les Eglises orientales, rien ne permet de penser que l’imminente réforme de la Curie romaine, préparée depuis si longtemps, marquera une quelconque amélioration tant au niveau des structures qu’au niveau humain.

Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.

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Date de publication: 28/02/2020