Après un préconclave, en 2013, pratiquement entièrement gaspillé en bavardages futiles sur la réforme de la curie vaticane et au terme de six années de travail désordonné dans ce but, il semble que la réorganisation de la curie soit en passe d’aboutir à un résultat qui ne satisfait pratiquement personne, si l’on s’en tient aux critiques qui se sont déjà abattues, de droite comme de gauche, sur l’avant-projet des futurs nouveaux statuts.
Parmi les plus mal en point, on retrouve les services administratifs et financiers. Leur rénovation est loin d’être achevée, particulièrement en ce qui concerne la clé de voûte de la curie en la matière, l’Administration du Patrimoine du Siège Apostolique, l’APSA.
C’est ce que met en lumière le vaticaniste anglais Edward Pentin dans un article publié le 22 juillet dans le “National Catholic Register” qui regorge d’informations inédites du plus haut intérêt.
Nous reproduisons ci-dessous l’article traduit intégralement avec l’autorisation de l’auteur.
Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.
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Finances et propriétés du Vatican: des questions restent sans réponse
par Edward Pentin
Cité du Vatican – C’est en octobre 2016, soit deux ans après avoir entamé son mandat en tant que préfet du secrétariat pour l’Économie, que le cardinal George Pell s’est rendu compte qu’un dicastère du Vatican gérait de grosses sommes d’argent non répertoriées issues de comptes offshore.
Mais près de trois ans plus tard, il semblerait que les questions soulevées par le Cardinal Pell concernant la gestion de l’Administration du Patrimoine du Saint-Siège (APSA), le dicastère qui gère le patrimoine immobilier et financier du Vatican, restent encore sans réponse. Le cardinal Pell avait identifié des risques de blanchiment d’argent et de fraude liés à la manière dont l’APSA utilisait des comptes bancaires à l’étranger et il avait commencé à s’intéresser de plus près à certaines transactions financières et immobilières.
Soucieux de mener rapidement à bien le mandat que le Pape François lui avait confié d’éradiquer la mauvaise gestion et les soupçons de corruption dans les opérations financières du Vatican, le cardinal préfet avait pris contact avec des amis banquiers australiens à Londres en 2016 pour en savoir plus. Ceux-ci avaient alors estimé qu’il pouvait il y a avoir jusque 100 millions d’euros sur ces comptes, principalement dans des succursales de deux banques privées situées à Lugano, en Suisse.
Le cardinal Pell avait répondu en disant qu’il demanderait à un cabinet d’avocats suisse de rassembler dans un premier temps les extraits bancaires des 10 dernières années de l’un de ces comptes et de demander ensuite à l’auditeur général du Vatican, Libero Milone, un ancien partenaire de chez Deloitte, une société d’audit et de conseil financier internationale, de les inspecter. Pour ce faire, Pell avait besoin de la permission écrite du Pape, que le Saint-Père lui donna par une simple signature.
Les extraits bancaires n’arrivèrent jamais jusqu’au cardinal Pell et à Milone – qui quittèrent par la suite tous deux leurs fonctions au Vatican. Un soi-disant scandale d’abus sexuel avait fait tomber le cardinal et un déluge d’accusations s’était abattu sur Milone même, si un an plus tard, les autorités du Vatican ont blanchi l’auditeur au terme d’une enquête qui n’avait trouvé aucune preuve pour étayer ces accusations.
Selon certaines sources, les tentatives d’obtenir les extraits bancaires ont plus que probablement été sabotées après que certaines personnes aient été mises au courant de l’enquête. Quand on leur demandait des informations sur ces comptes, les autorités de l’APSA ont invoqué à plusieurs reprises l’excuse de rencontrer des difficultés à obtenir les données.
« Ils traînaient les pieds, il y avait des ‘problèmes’ », a déclaré l’une de ces deux sources dans un article du National Catholic Register. « En fait, ils étaient en train de protéger ces comptes bancaires ».
Le Register a appris que cette résistance tenait en grande partie au fait que l’essentiel de cet argent résidait dans des « comptes chiffrés » que le Promontory Financial Group – l’une des sociétés externes appelées pour aider à assainir les finances du Vatican – avaient déjà pointé du doigt en 2014 comme constituant un risque de blanchiment et de fraude qu’il fallait résoudre.
Même s’il semblerait que la majorité de ces comptes soient maintenant clôturés, on ne sait toujours pas clairement combien d’entre eux sont toujours en activité. (Promontory pensait qu’il y avait au moins six comptes générant une activité pouvant poser problème).
Même si c’est l’ancien dicastère du cardinal Pell, aujourd’hui sous la direction de l’ancien numéro deux de l’APSA, Mgr Luigi Mistò, qui est en charge de la vigilance et du contrôle sur l’APSA, selon nos sources, il semble peu probable que ce dicastère sache un jour quelles sommes se trouvaient sur ces comptes ni à qui elles appartienaient.
« Des transactions hautement irrégulières »
Les comptes en question avaient des numéros bancaires internationaux irréguliers, ce qui les rendait difficile à retracer.
On pense que l’argent qui se trouvait sur ces comptes, dans les succursales de Lugano de deux banques privées, la Banque de la Suisse Italienne et la Julius Bär, auraient pu s’élever à un montant de 7 milliards d’euros, selon certaines estimations. Les deux banques ont refusé de confirmer ou d’infirmer l’existence de ces comptes : le 11 juillet dernier, une porte-parole de la Julius Bär a déclaré au Register que « la politique de la banque » était de « ne pas faire de commentaires concernant des relations supposées ou existantes avec des clients ».
L’existence de comptes offshore et les difficultés comptables qu’ils suscitaient ont été confirmées au Register par une seconde source bien informée de la situation.
« Au fur et à mesure que les mois passaient, il est apparu clairement qu’il y avait un réseau de corruption au sein de l’APSA et que ces deux banques à Lugano étaient liées à tout cela », a déclaré la source sous condition d’anonymat. « Des transactions hautement irrégulières transitaient par ces banques. »
Ni Claudia Ciocca, une directrice au secrétariat pour l’Économie chargée d’enquêter sur ces comptes, ni l’archevêque Nunzio Galantino, l’actuel président de l’APSA, n’ont répondu aux demandes de commentaires du Register.
Tommaso Di Ruzza, le directeur de l’Autorité d’Informations Financière du Vatican qui a contrôlé l’APSA jusqu’en 2016 a déclaré au Register qu’en ce qui le concernait, il « n’était pas correct » de parler de « comptes illicites ». Il a dit qu’il « ne pouvait pas révéler si nous avons trouvé des indices d’anomalies ».
M. Di Ruzza a déclaré « qu’en règle générale”, si l’Autorité décelait une anomalie, elle « fournissait spontanément » et demandait des informations à « ses contreparties étrangères », y compris celle d’Italie si « le sujet en question est citoyen italien ou si les transactions sont en lien avec le territoire italien ». Il a refusé de dire si cette vérification avait été effectuée à l’époque où l’Autorité avait droit de regard sur l’APSA.
Le patrimoine immobilier de l’APSA
Dans sa tentative d’apporter davantage de transparence, de contrôle et de vigilance sur les finances du Vatican, le cardinal Pell a dû faire face à un autre problème : celui de la mauvaise gestion du portefeuille immobilier à l’étranger.
Nos sources affirment que seuls quelques officiels au sein de l’APSA connaissent la véritable étendue du patrimoine immobilier du Vatican à l’étranger étant donné que celui-ci n’apparaît pas dans les livres de compte et qu’il est administré de manière confidentielle.
La plus grande partie du patrimoine immobilier à l’étranger administré par l’APSA est issu de fonds versés par le gouvernement italien au Vatican en vertu des accords du Latran de 1929. Il s’agissait d’une compensation pour les propriétés de l’Église qui avaient été confisquées par l’État italien pendant le Risorgimento, Cette période du 19e siècle durant laquelle l’État italien moderne a été créé.
En 2016, la valeur du patrimoine immobilier de l’APSA était estimée à au moins 800 millions d’euros avec un portefeuille comprenant des propriétés dans le quartier prestigieux Mayfair à Londres ainsi qu’à Paris et en Suisse. L’APSA gère apparemment son portefeuille britannique à travers une société de gestion appelée British Grolux Investments Ltd qui ne fait pas mention de la propriété du Vatican dans ses registres bien que plusieurs membres de son conseil de direction soient directement liés à l’APSA.
En 2015, pour des raisons inconnues, l’APSA a dépensé 100 millions d’euros pour acquérir une prestigieuse propriété londonienne contenant 108 appartements et 57.000 m² de surface commerciale. Le cardinal Domenico Calcagno, qui présidait l’APSA entre juillet 2011 et juin 2018 n’aurait demandé au cardinal Pell de donner son feu vert à cette transaction qu’à la onzième heure mais Pell avait déconseillé la transaction parce que plusieurs questions importantes restaient pour lui sans réponse.
L’affait fut conclue malgré tout grâce au Pape qui est passé outre les réticences du cardinal Pell après que le cardinal Calcagno lui ait dit que l’APSA risquait de perdre son acompte de 3,5 millions de livres (4,9 millions de dollars) si l’affaire n’était pas conclue immédiatement.
Le cardinal Pell s’était également fermement opposé à une proposition d’utiliser le fond de pension du Vatican pour financer la moitié du montant de l’achat et avait expressément demandé à savoir en quoi cet investissement s’inscrivait dans la stratégie de ce fond.
Mais le président du fond en question était également le cardinal Calcagno qui s’envoya une lettre à lui-même, de l’APSA au fond de pension, pour approuver la transaction. À cette époque, le cardinal faisait également l’objet d’une enquête pour des allégations de détournement de fonds portant sur la période où il était évêque de Savone (cette enquête n’a abouti à aucune poursuite pénale contre le cardinal qui a atteint l’âge de la retraite obligatoire de 75 ans pour les évêques au moment où sa démission de président de l’APSA a été acceptée l’an dernier par le pape François).
L’achat en 2015 de cette propriété située 176–206 High Street Kensington à Londres est aujourd’hui considérée par les autorités comme une erreur, étant donné qu’il a été fait au sommet de ce que les experts immobiliers londoniens qualifiaient de « bulle spéculative » et avec une livre sterling relativement forte qui allait perdre une bonne partie de sa valeur après le referendum sur le Brexit un an plus tard.
« Ce qu’il faut souligner c’est que ces immeubles, l’APSA ne doit pas les gérer comme si c’étaient les siens mais comme appartenant à l’Eglise », a déclaré une deuxième source au Vatican. « Mais au lieu de cela, ils s’en servent comme si c’était les leurs et si quelqu’un s’intéresse de trop près à la façon dont ils le gèrent, cette personne est considérée comme un intrus, même s’il se trouve qu’elle est du secrétariat d’État ou du secrétariat pour l’Économie. »
Manque de transparence
L’APSA n’est pas le seul organe du Vatican à être réfractaire à tout contrôle. En 2017, le premier audit externe de l’histoire du Vatican effectué par Price Waterhouse Coopers (PwC) avait été brusquement annulé par le secrétariat d’État quelques mois à peine après avoir démarré et avoir été approuvé par le conseil de l’Économie – un groupe de cardinaux chargé de superviser le secrétariat pour l’Économie.
Le dicastère du cardinal Pell avait déjà découvert de vastes sommes d’argent qui n’apparaissaient pas dans les comptes (97 millions d’euros au secrétariat d’État, plus tard suivis de presque 1 milliard d’euros dans plusieurs autres dicastères).
En réponse au Register, le cardinal Angela Becciu, qui était à l’époque substitut (le numéro deux) au secrétariat d’État à l’époque et qui est aujourd’hui préfet à la Congrégation pour les causes des saints, a déclaré ne rien savoir des comptes bancaires ou du patrimoine immobilier à l’étranger géré par l’APSA. Il a dit que l’APSA avait sa propre « autonomie » et que le secrétariat d’État n’était pas au courant de toutes ses opérations.
Le cardinal, originaire de Sardaigne, a également déclaré que le secrétariat d’État « ne s’était jamais opposé par principe à l’audit de PwC » mais qu’il a voulu fixer des limites « temporelles et thématiques » à leur « intervention ».
« Ils se sont présentés et ils ont dit qu’ils devaient tout voir », a‑t-il dit, en ajoutant : « il est parfaitement évident qu’on ne pouvait pas accepter ça, notamment à cause des coûts très élevés de l’opération, qui avaient été validés par le secrétariat pour l’Économie sans consulter personne. » Le cardinal a également prétendu que le fait que la clôture du contrat avec PwC a été « consensuelle » sans aucune pénalité financière montrait bien que les auditeurs de PwC avaient également « réalisé que l’opération avait été mal planifiée et que, pour le bien de tous, il valait mieux y mettre un terme ».
Pourtant, nous avons appris par des sources fiables que d’autres travaux ont été confiés à PwC en compensation du manque à gagner d’honoraires.
Les mêmes sources ont déclaré au Register que les fait exposés dans cet article ne représentent qu’un « petit échantillon » des malversations en cours mais que l’archevêque Galantino, et le nouveau substitut, l’archevêque Edgar Peña Parra, sont en train de faire des progrès pour faire face à la mauvaise gestion financière et à la possible corruption au Vatican et à l’étranger.
Mais ce que de nombreux évaluateurs, inspecteurs et consultants préféraient voir, c’est un changement radical du personnel.
« Ce serait si simple d’éliminer la corruption : changer les personnes et suivre les règles », a déclaré la seconde source du Register. « Changer les structure peut aider à créer des contrôles, de la vigilance ainsi que des mécanismes de régulation mais cela n’a aucun sens de mettre tout cela en place si les personnes qui contrôlent le patrimoine, les ressources humaines, les contrats d’employés et ainsi de suite sont les mêmes qu’avant, et appartiennent à ce qu’on appelle la ‘vieille garde’ ».
Outre l’archevêque Galantino et Claudia Ciocca, le Register a contacté l’archevêque Peña Parra et le bureau de presse du Saint-Siège pour leur demander s’ils confirmaient l’existence de comptes en Suisse, du portefeuille immobilier étranger de l’APSA et toutes les raisons de l’annulation de l’audit de PwC. Aucun d’eux n’a répondu aux demandes d’éclaircissements du Register concernant ces questions.