Carlo Caffarra, prophète ignoré. Sa dernière lettre au Pape François

Ce 6 sep­tem­bre au matin, le car­di­nal Carlo Caffarra, arche­vê­que émé­ri­te de Bologne et théo­lo­gien moral de pre­mier plan, par­ti­cu­liè­re­ment sur les que­stions de famil­le et de vie, nous a quit­tés à l’improviste.

Après la dispa­ri­tion, bru­ta­le elle aus­si, du car­di­nal Joachim Meisner le 5 juil­let der­nier, les qua­tre car­di­naux signa­tai­res des « dubia » sou­mis au pape François il y a un an sur des poin­ts con­tro­ver­sés d’Amoris lae­ti­tia ont été rédui­ts de moi­tié. Les deux à être enco­re en vie sont l’allemand Walter Brandmüller et l’américain Raymond L. Burke.

C’est le car­di­nal Caffarra qui était le moteur du grou­pe. C’est sa signa­tu­re qui figu­rait au bas de la let­tre de deman­de d’au­dien­ce pour lui et les trois autres envoyée au pape François au prin­temps der­nier.  Cette fois enco­re, com­me ce fut déjà le cas pour les dubia, cet­te deman­de était restée let­tre mor­te.

Peu avant l’envoi de cet­te let­tre, le car­di­nal Caffarra avait eu la chan­ce de croi­ser le pape François lors d’un de ses dépla­ce­ment, à Carpi, près de Bologne, le 2 avril der­nier. Pendant le repas, il était assis à côté de lui mais le pape avait pré­fé­ré con­ver­ser avec un vieux prê­tre et avec les sémi­na­ri­stes assis à la même table.

Voici le tex­te inté­gral de la let­tre en que­stion, la der­niè­re que le car­di­nal Caffarra ait adres­sée au Pape et qui avait déjà été publiée en exclu­si­vi­té le 20 juin der­nier par Settimo Cielo, avec l’autorisation de l’auteur.

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“NOTRE CONSCIENCE NOUS POUSSE…”

Très Saint Père,

C’est avec une cer­tai­ne appré­hen­sion que je m’adresse à Votre Sainteté durant ces jours du temps pascal. Je le fais au nom de leurs émi­nen­ces les car­di­naux Walter Brandmüller, Raymond L. Burke, Joachim Meisner ain­si qu’en mon nom per­son­nel.

Nous sou­hai­tons avant tout réaf­fir­mer notre dévoue­ment et notre amour incon­di­tion­nel à la Chaire de Pierre et pour Votre augu­ste per­son­ne, en laquel­le nous recon­nais­sons le Successeur de Pierre et le Vicaire de Jésus : le « doux Christ de la ter­re » com­me aimait à le dire Sainte Catherine de Sienne. Nous ne par­ta­geons en rien la posi­tion de ceux qui con­si­dè­rent que le Siège de Pierre est vacant ni cel­le de ceux qui vou­dra­ient éga­le­ment attri­buer à d’autres l’indivisible respon­sa­bi­li­té du « munus » pétri­nien. Nous ne som­mes ani­més que par la con­scien­ce de la gra­ve respon­sa­bi­li­té issue du « munus » car­di­na­li­ce : être des con­seil­lers du Successeur de Pierre dans son mini­stè­re sou­ve­rain. Ainsi que par le Sacrement de l’Episcopat qui « nous a éta­blis com­me évê­ques pour être les pasteurs de l’Église de Dieu, qu’il s’est acqui­se par son pro­pre sang. » (Actes 20, 28).

Le 19 sep­tem­bre 2016, nous avons remis à Votre Sainteté et à la Congrégation pour la doc­tri­ne de la foi cinq « dubia » en Lui deman­dant de tran­cher des incer­ti­tu­des et de fai­re la clar­té sur cer­tains poin­ts de l’exhortation apo­sto­li­que post-synodale « Amoris lae­ti­tia ».

N’ayant reçu aucu­ne répon­se de Votre Sainteté, nous avons pris la déci­sion de deman­der respec­tueu­se­ment et hum­ble­ment audien­ce à Votre Sainteté, ensem­ble, s’il plaît à Votre Sainteté. Nous joi­gnons, com­me c’est l’usage, une feuil­le d’audience dans laquel­le nous expo­sons les deux poin­ts desquels nous sou­hai­te­rions nous entre­te­nir avec Votre Sainteté.

Très Saint Père,

Une année s’est déjà écou­lée depuis la publi­ca­tion d’ « Amoris lae­ti­tia ». Pendant cet­te pério­de, plu­sieurs inter­pré­ta­tions de cer­tains pas­sa­ges objec­ti­ve­ment ambi­gus de l’exhortation post-synodale ont été don­nées publi­que­ment, non pas diver­gen­tes mais con­trai­res au Magistère de l’Eglise. Malgré que le Préfet de la Doctrine de la foi ait à plu­sieurs repri­ses décla­ré que la doc­tri­ne de l’Eglise n’a pas chan­gé, plu­sieurs décla­ra­tions d’évêques indi­vi­duels, de car­di­naux et même de con­fé­ren­ces épi­sco­pa­les ont eu lieu et elles approu­vent ce que le magi­stè­re de l’Eglise n’a jamais approu­vé. Non seu­le­ment l’accès à la Sainte Eucharistie de ceux qui vivent objec­ti­ve­ment et publi­que­ment dans une situa­tion de péché gra­ve et enten­dent y demeu­rer mais éga­le­ment une con­cep­tion de la con­scien­ce mora­le con­trai­re à la Tradition de l’Eglise. Et c’est ain­si – oh com­me il est dou­lou­reux de le con­sta­ter ! – que ce qui est péché en Pologne est bon en Allemagne, ce qui est inter­dit dans l’Archidiocèse de Philadelphie est lici­te à Malte. Et ain­si de sui­te. L’amère con­stat de Blaise Pascal nous vient à l’esprit : « Justice au-deçà des Pyrénées, inju­sti­ce au-delà ; justi­ce sur la rive gau­che du fleu­ve, inju­sti­ce sur la rive droi­te ».

De nom­breux laïcs com­pé­ten­ts, aimant pro­fon­dé­ment l’Eglise et fer­me­ment loyaux envers le Siège Apostolique se sont adres­sés à leurs Pasteurs et à Votre Sainteté afin d’être con­fir­més dans la Sainte Doctrine con­cer­nant les trois sacre­men­ts du Mariage, de la Réconciliation et de l’Eucharistie. Et juste­ment ces der­niers jours à Rome, six laïcs pro­ve­nant de cha­que con­ti­nent ont orga­ni­sé un Colloque d’études qui a été très fré­quen­té, inti­tu­lé signi­fi­ca­ti­ve­ment: « Faire la clar­té ».

Face à cet­te situa­tion gra­ve dans laquel­le de nom­breu­ses com­mu­nau­tés chré­tien­nes sont en train de se divi­ser, nous sen­tons le poids de notre respon­sa­bi­li­té et notre con­scien­ce nous pous­se à deman­der hum­ble­ment et respec­tueu­se­ment audien­ce.

Que Votre Sainteté dai­gne se sou­ve­nir de nous dans Ses priè­res, com­me nous l’assurons que nous le ferons dans les nôtres. Et nous deman­dons à Votre Sainteté le don de sa béné­dic­tion apo­sto­li­que.

Carlo Card. Caffarra

Rome, le 25 avril 2017
Fête de Saint Marc évan­gé­li­ste

 

FEUILLE D’AUDIENCE

1. Demande de cla­ri­fi­ca­tion des cinq poin­ts indi­qués par les « dubias » ; rai­sons d’une tel­le deman­de.


2. Situation de con­fu­sion et de désar­roi, sur­tout par­mi les pasteurs d’âmes, « in pri­mis » les curés.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 6/09/2017