Nous tombons tous dans le panneau de cette nouvelle superstition qui consiste à croire que la « miséricorde » nous appartient, que nous pouvons à notre guise la partager aux autres avec largesse mais surtout en profiter à nous-mêmes comme si le catholique jouissait de cette faculté de s’auto-absoudre.
Il ne s’agit pourtant que d’une superstition mondaine qui s’ajoute à une autre – bien plus grave celle-là parce que d’origine cléricale – qui considère la « miséricorde » comme une espèce de bien immobilier dont la suprême hiérarchie de l’Eglise dont serait l’unique propriétaire et qu’à ce titre, elle serait libre de la donner généreusement à qui elle veut comme bon lui semble.
Nous tous, laïcs et personnes consacrées réunies, nous finissons par croire que l’absolution donnée dans le sacrement de la réconciliation est un acte exercé à titre personnel par le prêtre dont le « pardon » ne serait que la manifestation visible, que le prêtre n’agirait plus en tant que mediator Dei, ce fil conducteur entre Dieu et le pénitent mais qu’il serait lui-même le destinataire des péchés confessés par le pénitent qu’il évaluerait non plus selon des principes éternels établis au sein de l’Eglise mais bien sur base de « selon moi… » subjectifs plus ou moins atténués en fonction de la mode médiatique ou des humeurs et des prédispositions de prêtre, érigé en nouveau Dieu tout puissant.
Voilà la dernière façon de détrôner Dieu et d’en usurper les prérogatives afin de prendre sa place. En réalité, cette conception tronquée et nombriliste de la « miséricorde » relève davantage de la condescendance, voire de la complicité et elle pousse inévitablement le pénitent lui-même à la damnation. Comme si en absolvant motu proprio les péchés de l’autre, on cherchait surtout à se débarrasser de notre propre culpabilité et à se donner l’absolution à nous-mêmes.
Pourtant le seul maître, seigneur et dispensateur de la grâce de la Miséricorde et du pardon, c’est bien Dieu lui-même et Dieu seul et non pas le prêtre ou le pape ou même le pénitent qui se l’administrerait à lui-même comme une justification de ses propres vices enracinés jusqu’à devenir une habitude et finalement une corruption. Le corrompu cesse d’être un fils de Dieu assoiffé de miséricorde est déjà un serviteur de Satan parce qu’il n’en veut pas, de cette miséricorde, il exige un permis de pécher et un droit de ne pas être jugé. Ce sont les corrompus, et non les pécheurs, qu’il faudrait brûler vifs en guise de miséricorde. Une personne corrompue est un pareille à gaz mortel qui empoisonne l’air en semant mort et destruction sur son passage partout où on le respire.
Nous voilà parvenus au paradoxe ultime de ces papes qui demandent dans les séminaires « d’avoir de la miséricorde pour ses propres péchés pour pouvoir pardonner ceux des autres », voilà ce que l’on raconte aux futurs prêtres. Comme si, encore une fois, la « miséricorde » ne relevait que du bon vouloir du confesseur, comme si l’on ne savait pas depuis toujours qu’il faut être intransigeant avec soi-même pour pouvoir ressentir la charité de façon plus vivante et vraie face à la faute des autres pour pouvoir, à genoux, offrir à Dieu le péché renié par le pénitent et offrir à ce dernier la grâce du Seigneur en tant que serviteur de la charité et non comme maître du bien et du mal.
La voilà, cette idée malsaine et vaniteuse qui trotte dans la tête de certains hiérarques: se considérer comme les maîtres du bien et du mal, du vice et de la grâce, de la miséricorde, de la condamnation et du sacrement lui-même.
Mais quand le prêtre donne l’absolution, ce serait en réalité d’ abord à lui-même de se mettre à genoux avant le pénitent parce que ce n’est qu’en se faisant petit et humble – comme me le disait récemment un ami prêtre – qu’on peut recevoir les grands péchés de celui qui se confesse, ce n’est qu’avec crainte et tremblement qu’on peut véritablement les accueillir parce que ces péchés ne nous appartiennent pas: ils n’appartiennent ni au confesseur – pas plus que ne lui appartiennent la miséricorde ou le pardon – mais bien à Dieu seul et à sa créature contrite… dans le repentir. N’est-il pas d’ailleurs écrit « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. »
C’est à genoux que l’on se confesse et à genoux que l’on confesse et pas depuis un trône illégitime humain, trop humain du haut duquel, le torse bombé, se sentant meilleurs et plus magnanimes que Dieu lui-même, nous déciderions d’un jugement souverain non seulement de ce qui est bien ou mal mais également de transformer ce qui est mal aux yeux de Dieu en quelque chose de « bien » aux yeux du prêtre.
Le repentir est comme une lettre dont Dieu serait le destinataire, le prêtre le facteur et le pénitent l’expéditeur.
La miséricorde, enfin, est la lettre de réponse dont Dieu – parce que la miséricorde est toujours propriété de Dieu – serait l’expéditeur, le prêtre encore une fois le facteur et le pénitent le destinataire.
Mais ce « facteur » n’est pas un Dieu.
Par Antonio Margheriti, d’après un article original en italien traduit et publié avec l’autorisation de l’auteur.